“Panser la ville, penser l’architecture dans sa dimension sociale et culturelle”
Stéphane Malka s’est engagé en architecture avec force et conviction. C’est dans cet esprit qu’il a créé le « Petit Paris », un dispositif consistant à investir les espaces délaissés de la ville (toits, dents creuses, métro aérien). Des interventions expérimentales qui s’inscrivent dans une approche alternative visant à transformer l’existant sans jamais le détruire. C’est le cas du projet « auto-Défense », un squat-phalanstère sous l’arche de la Défense qu’il qualifie de « poche de résistance active », ou « Buro-Actif », des bureaux mobiles en libre-service au cœur de Belleville. Et, le long des 9, et 10 et 18e arrondissements, la Galerie Bunker suspendue au métro Barbès.
Qu’est-ce que la Galerie Bunker ?
Je trouve que le métier d’architecte manque de prise de position. C’est pourquoi j’ai souhaité proposer d’emblée une alternative qui ne réponde pas nécessairement à une commande. Je pense qu’il ne faut pas hésiter à dépasser le simple cadre de la commande publique et proposer une approche s’inscrivant dans une réflexion stratégique des lieux. C’est le sens de ma démarche. Il s’agit d’une proposition libre.
La Galerie Bunker est un espace d’exposition suspendu au métro Barbès, elle fonctionne selon un système de coopérative, constituée de différents modules d’exposition, de lieux de rencontres, d’échange, d’espaces marchands qui se composent en s’agrégeant, et ce en fonction du nombre d’espaces occupés selon les besoins de chacun. D’ailleurs dans mes travaux, il y a toujours, de manière sous-jacente, cette idée de ne pas avoir une stylistique architecturale définie. C’est finalement l’action sociale qui détermine l’architecture. L’idée est plutôt de mettre en place une stratégie architecturale plutôt qu’un geste virtuose.
Ce projet s’inscrit dans une réflexion plus large sur la place et le rôle de l’architecture dans la ville …
Notre proposition est de prolonger l’existant sans jamais le détruire, de se réapproprier les lieux, de les reconquérir en les transformant, nous créons sur un mode additionnel. Il s’agit de panser la ville et par extension de redéfinir l’approche qu’elle induit dans l’articulation avec son environnement, notamment en révélant de nouvelles envies, en affirmant la polyvalence des usages. Que je propose des logements à la Défense dans le cadre de mon projet «auto-Défense », de bureaux mobiles à Belleville ou de la Galerie Bunker à Barbès, j’inscris toujours ces mouvements dans le cadre d’une réflexion sur la mixité sociale et urbaine. Ces questions sont fondamentales dans mon travail.
Il faut prendre d’assaut les espaces, investir des lieux pour redéfinir la manière de penser les rapports humains dans la ville. Il y a des dents creuses dans la ville, des espaces vides qui mériteraient d’être réinvestis et valorisés sans être détruits. On a suffisamment d’espace à redensifier, et je pense qu’il est possible d’investir ces lieux abandonnés selon un mode opératoire bien moins lourd que celui de l’architecture classique.
Le projet de la Galerie Bunker a-t-il suscité des réactions de la part des institutions publiques ?
Pour la Galerie Bunker, j’ai rencontré la direction des aménagements de la RATP. Notre proposition les a interpellés car elle soulève des questions auxquelles la RATP s’intéresse de près, en particulier la question de l’aménagement des “délaissés urbains”, comme les espaces qui se trouvent sous le métro. Ce sujet a toujours fait débat, notamment lorsque l’on met en place des terrains de jeux pour les jeunes. Cela sectorise l’espace en journée et empêche une réelle circulation, un réel échange, et le soir, l’espace n’a plus aucune vie. Ce qui m’intéresse dans le projet de la Galerie Bunker, c’est qu’elle communique avec son environnement, notamment avec le marché Barbès qui se trouve juste en dessous. Le marché vit avec la galerie, ils coexistent, nous sommes toujours dans cette logique additionnelle. Ces endroits sont pour moi les derniers bastions du romantisme moderne. Et c’est dans ces coexistences-là que les choses les plus intéressantes se passent aujourd’hui.
Pourquoi avez-vous choisi Barbès ? Ce quartier a-t-il un sens particulier dans votre démarche ?
Barbès et la Goutte d’Or sont des quartiers fascinants. La Galerie Bunker tout comme le Louxor s’inscrivent dans une démarche d’ouverture et de mixité sociale. Il est important de disposer de lieux fédérateurs que ce soit une galerie, un cinéma ou un marchand de disques, afin de créer de la circulation, de l’ouverture, de l’échange avec les habitants. Il est par ailleurs important de penser une réhabilitation en développant une approche culturelle des lieux car c’est de la culture que naît la cohésion. Depuis ces vingt dernières années, c’est dans ces quartiers populaires que des mouvements artistiques de rue sont apparus, c’est là que l’on trouve les plus belles pièces en matière de graffitis. Je pense aux œuvres réalisées par les 156 – One-Five-Six – sur les camions que l’on peut apercevoir aux abords des marchés. L’environnement est important et il a d’ailleurs été pensé comme une partie intégrante du dispositif de la Galerie Bunker. De celle-ci le regard file vers le bas, elle permet de vivre le dehors sans l’enfermer, et du marché, elle vous invite à lever les yeux pour découvrir autre chose de la ville. Pour les galeries d’art se trouvant dans la galerie Bunker, l’idée est de localiser l’œuvre d’art dans son espace et de l’intégrer à son environnement urbain. On est dans une parenthèse suspendue, entre le métro, haut lieu du graffiti, la ville et la population. On exprime ainsi un rapport au territoire, mais de manière décalée.
Avez-vous suivi la réhabilitation du Louxor ?
Oui, mais je suis aujourd’hui davantage dans l’attente de connaître la programmation du lieu et la manière dont il va s’articuler avec son environnement. Ce qui m’intéresse c’est de voir ce que le Louxor va susciter comme mélange social et générationnel, avec des personnes du quartier et d’ailleurs, comment il va retrouver les chibanis (les vieux, ndlr) du quartier et s’inscrire dans leur quotidien. Lorsque l’on voit ce cinéma des années 20, on ne peut s’empêcher de penser aux expositions universelles et aux expositions coloniales. Il y a là une dimension affective.
Le cinéma a-t-il une place particulière dans votre travail ?
Je travaille comme un sampler, un échantillonneur. Il y a des choses qui me portent vers la musique et le cinéma. Il est évident que le 7e art a nourri mon travail, mais pas seulement. Ce que j’aime retrouver dans le cinéma c’est le langage de l’architecture. Les plans, la projection, le travail des séquences… Mais ce qui me plaît avant tout, c’est que le cinéma donne le choix, offre d’autres pistes de réflexion. Il n’enferme pas, il propose. Je me sens proche de cette démarche. Le cinéma est une fenêtre sur le monde, c’est aussi l’occasion de voir la ville de manière différente. De nombreux cinéastes filment la ville et ses habitants, et chacun propose sa propre lecture. Comme Jim Jarmusch qui a une manière de filmer la ville dont je me sens proche.
Quelle sera votre prochaine intervention dans la ville ?
Mon agence intervient dans différents domaines, du design, du mobilier aux installations artistiques, de la scénographie à l’architecture. Nous développons actuellement un projet d’envergure intitulé Parissy. Il s’agit d’une lame végétalisée traversant la Seine dans le cadre de l’aménagement des bords de Seine à l’entrée d’Issy-les-Moulineaux. L’idée est de développer des promenades plantées, des espaces de circulation pour les piétons et les véhicules.
GALERIE BUNKER
Bio express : Stéphane Malka est né en 1975 à Marseille. Diplômé des écoles d’architecture de Marseille (Luminy), de la Villette, il remporte, après un passage par l’atelier Jean Nouvel, le concours « Paris en 80 quartiers » de la Ville de Paris en 2000 et le Najap prix du ministère de la Culture récompensant les révélations de l’année, en 2009. |
Lien : Stéphane Malka Architecture
Portrait de Stéphane Malka réalisé par Frédéric Poletti.
Frédéric Poletti est photographe, il vit et travaille à Paris 18ème . Son travail pour les Cahiers du Cinéma “Photographe aux Cahiers du Cinéma” a été exposé à l’Institut Français de Prague, à l’Institut Français de Kiev et aux Transphotographiques de Lille. Il collabore aujourd’hui avec la presse internationale, la mode et la publicité .