Ils s’appellent Johan, Suzanne, Aude, Matthieu, Vanessa. Le sociologue les a croisés dans le rayon « Musiques de films» d’une grande enseigne culturelle rue d’Antibes à Cannes entre 2009 et 2011. Il les aborde alors qu’ils achètent une bande originale de films (BOF). Avec eux, il remonte le temps, partage leur parcours de spectateur-auditeur : vous venez d’acheter un disque, pouvez-vous nous en parler, nous parler du film ?
Johan cherche la BO du film Le Concert de Radu Mihaileanu, plus particulièrement le Concert n°35 pour violon et le Lac des Cygnes de Tchaïkovski. Journaliste autrichien, il a 42 ans, aime Abba, les films d’amour et les chansons des Enfoirés qu’il écoute à Cannes sur la plage en regardant la mer. Il parle de la magie de ces moments où il écoute la musique qu’il associe à un lieu, et une ambiance, magiques eux aussi, à ces instants où l’écoute de la musique le renvoi à son expérience de spectateur.
Suzanne, elle, est venue, avec ses deux enfants, pour faire un cadeau d’anniversaire à son mari. Elle tient entre ses mains le disque du film Good Morning England de Richard Curtis qu’elle a vu, il y a quelques semaines, en famille. En famille, elle aime aussi écouter la musique en voiture. Elle a 53 ans, se souvient avoir vu avec sa mère, enfant, le Livre de la jungle de Walt Disney. Elle aime aussi les BO de comédies musicales, le jazz, les musiques du monde, les films de Fellini. Elle plonge dans « le rêve » et « la magie du festival de Cannes » à l’écoute de la musique lorsque le générique cannois retentit.
Pointer ces échanges sur les goûts ordinaires permet de révéler l’importance des débuts et fins de films. Ils représentent une entrée et une sortie déterminantes dans notre appropriation de l’univers symbolique du film. Cette plongée est particulière à Cannes puisqu’elle est accompagnée par une signature visuelle et sonore récurrente : le générique du festival. Il est celui qui définit le cadre du dispositif festivalier : la musique du festival de Cannes, Aquarium, de Camille Saint Saens, est offerte aux oreilles des spectateurs à chaque projection pendant qu’à l’écran se dévoile, dans une montée des marches stylisée, le tapis rouge emblématique. Depuis la mer jusqu’aux étoiles, il les conduit à la palme emblématique du Festival de Cannes. Par une construction symbolique, Aquarium est devenue, depuis la 50ème édition du festival de Cannes, la bande originale de cette manifestation et de ses participants. Par sa fonction emblématique, elle aussi, la musique porte les éléments signifiants de l’univers filmique, emblème personnel de spectateur, emblème collectif de festivaliers, tous installés sur le même tapis sonore.
Retrouvez les articles du SOCIO-BLOG /// 8 sociologues au Festival de Cannes : ici et là
Sous la direction d’Emmanuel Ethis, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
(Centre Norbert Elias, équipe Culture et Communication)