Au Festival de Cannes, accrédités ou non, invités ou non, les festivaliers font l’épreuve de l’attente. Plus que tout, à Cannes, ils espèrent. Ils espèrent voir, entrer. Ils espèrent apercevoir, toucher. Ils espèrent vendre, acheter, plaire et gagner.
Le dispositif cannois de sélection des films, comme de ceux qui auront le privilège d’y accéder, constitue une mise en exergue de l’accession, une mise en scène de la quête, une mise en obstacle pailletée du parcours qui mène à la projection espérée. Ce cheminement des spectateurs vers la salle oscille entre lenteur et extrême précipitation. La perception de ce qu’ils vivent sur les marches comme la réception de ce qu’ils voient dans la salle sont en fait tout particulièrement déterminées par la manière dont ils y accèdent.
Louis est un fan de Quentin Tarantino. En 2009, pour son tout premier Festival de Cannes, il est arrivé avec trois heures d’avance à la séance du matin, armé de patience et de crème solaire. Il était premier dans la file des « dernière minute » ; mais ni lui, ni les centaines d’autres personnes massées derrière lui n’ont pu rentrer. A 14h, il a mis son smoking tout neuf et a promis un « hug » à celui ou celle qui lui donnerait une invitation pour la montée des marches de 22h. Il a vu Quentin Tarantino et Mélanie Laurent danser sur les écrans géants qui jouxtent le tapis rouge, mais il n’est pas entré. Alors quand, le lendemain, quelques coups de soleil et deux nouvelles heures d’attente plus tard, il est entré dans la salle trop climatisée, chacune des minutes du film lui ont semblé exceptionnelles et magiques : du grand cinéma.
Alors il n’a plus parlé que de ça : des répliques cultes, des plans mémorables, de l’ambiance électrique de la salle. Quelle déception alors, lorsque que quelques mois plus tard, entourés de ses amis, Louis a revu ce film. Malgré quelques réminiscences de ses émotions cannoises, il l’a trouvé bien moins bon. Il avait à nouveau le regard critique qui le caractérise. Il n’était plus ébloui par les flashs des photographes, ni porté par l’euphorie de se savoir si proche de son idole. Il le comprenait maintenant, c’est Cannes qui lui avait fait aimer ce film.
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Sous la direction d’Emmanuel Ethis, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
(Centre Norbert Elias, équipe Culture et Communication)