Pour ce premier billet d’histoire de PARIS-LOUXOR, le comité de rédaction a, dans un premier temps, cherché un document inédit. Sans blêmir, nous avons envisagé l’écriture d’un article sur la fameuse soirée d’ouverture du Louxor-Palais du cinéma sur la base de deux notules elliptiques, l’une parue dans La Cinématographie Française (entre autres) et l’autre dans Le Figaro [1].
Il n’était pas question de faire du copier/coller, ou de reprendre in extenso des documents de l’époque sans y apporter une réflexion ou, tout au moins, une contribution inédite. Nous souhaitions aller au-delà de la belle histoire officielle que l’on nous raconte bien trop souvent – ce qui s’apparenterait aujourd’hui au Story telling -. Aurions-nous reproduit des documents, sans questions ni vérifications, sur le regrettable incident diplomatique entre la France et le Lichtenbourg ? Non, ce n’est pas le genre de la maison PARIS-LOUXOR.
L’historien partant des sources, le journaliste vérifiant les siennes, nous avons donc passé des heures à dépouiller la presse des années 20, nous familiarisant même aux techniques de communication et de marketing de l’époque sur la sortie des films, et découvrant que la publicité et le rédactionnel sont des amants qui s’étreignent de pages en pages. Néanmoins, après une quête pour le moins fébrile entre archives et documents tout aussi fragiles que précieux, rien sur cette soirée d’inauguration du mystérieux 6 octobre 1921, ni les jours suivants. Pas un film ou le moindre détail, le Louxor étant lui-même une sorte d’anachronisme architectural le voici coincé dans un faille spatio-temporelle… Pire même, les jours qui suivent l’inauguration, le cinéma le Louxor n’apparaît jamais dans les programmes parisiens. Chose étonnante également, pas une publicité sur cette nouvelle salle qui pourtant n’est pas une salle de cinéma comme les autres, à moins qu’à l’époque, ce qui est aujourd’hui considéré comme une merveille de style égyptisant était peut être en ces années Art déco du plus mauvais goût…! Étrange… Suffisamment étrange pour que l’on s’y intéresse de près. Voilà, nous tenions l’énigme, et au contraire du Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, où l’on ne sait comment on a pu en sortir, il s’agissait pour nous de savoir qui y avait bien pu y entrer et ce qui s’y était passé !
Après avoir recherché dans plusieurs revues de cinéma, et non des moindres comme la revue de Louis Delluc, Cinéa, mais aussi dans La Cinématographie Française, Filma, Le Courrier cinématographique etc. Nous avons constaté avec surprise que le journaliste ayant rédigé l’article sur l’inauguration du Louxor n’y avait probablement… jamais participé ! En effet, plusieurs articles publiés reprenaient dans son intégralité ce qui s’apparente au publi-rédactionnel de la soirée d’inauguration du Louxor. Le “journaliste-fantôme”, dont la signature s’écrit à l’encre sympathique, semble ce soir-là tellement ébloui par les fastes de la soirée qu’il n’est pas en mesure de citer le film de l’inauguration et de nommer ne serait-ce qu’une personne du parterre de vedettes présentes. Jugez plutôt la circonvolution des faits :
Inauguration – Le Courrier cinématographique n°41 – 08/10/1921
“Fort bien choisi, le premier programme a été applaudi par une brillante assistance, parmi laquelle nous avons reconnu les principales personnalités de l’art et de l’industrie cinématographique qui avaient tenu à honorer de leur présence l’inauguration de cette nouvelle salle.”
Difficile de croire en la discrétion du publiciste. Mais peut être était-ce la chaleur qui évapora les souvenirs en ce mois d’octobre des plus chauds - le plus chaud et le plus sec à Paris depuis 1757, 28,4 C° selon les très sérieuses statistiques de la météorologie helvétique.
Que s’est-il passé ce jour-là ? Le Salon de l’automobile ouvrait ses portes au Grand Palais à Paris, l’accord de Wiesbaden entre le gouvernement d’Aristide Briand et l’Allemagne au sujet du paiement des dettes en nature était accepté par la Commission des Réparations, une convention internationale signée à Sèvres modifiait la convention de la création du Bureau international des poids et mesures, Jean Machu naissait en Bourgogne et l’on projetait au Trocadéro L’Atlantide de Jacques Feyder, avec Jean Angelo et Stacia Napierkowska.
Quant à Charlie Chaplin, venu présenter The Kid (“Le Gosse”), le triomphe l’avait attendu la veille à Paris lors d’une soirée de bienfaisance organisée devant 6 000 personnes ,par les Américains, pour les régions du Nord de la France marquées par la guerre. À deux pas du Louxor ce soir du 6 octobre, le même Chaplin, accompagné du boxeur Georges Carpentier, faisait la nouba à la Cigale – Louis Delluc, témoin de la soirée en donne quelques détails. Le spectacle et le scoop auraient donc été de l’autre côté du boulevard.
Charlot à Paris – Cinéa n°23 – 14/10/1921 – Louis Delluc
“Le 6 octobre, Chaplin est allé avec son ami Carpentier à la Cigale. Les figurants et danseuses ont acclamé le charmant petit spectateur timide et poli. Régine Flory l’a salué, Vilbert a été très bien. La salle, beaucoup moins distinguée que celle du Trocadéro, a fait une ovation”.
Alors quid de la grande et belle ouverture du cinéma le Louxor ce 6 octobre 1921 ? L’histoire reste de toute évidence à écrire. Méfions-nous simplement des belles histoires écrites à l’avance, 90 années plus tard, la question est toujours ouverte. Nous vous proposons de nous y atteler, nous ? oui, tous ensemble, prenons dès à présent la route pour les années folles… Suite au prochain épisode.
Le + : La trace la plus proche d’un film projeté au Louxor est le film Les trois Mousquetaires dans le numéro 43 (22/10/1921) du Courrier cinématographique, listé parmi les 800 cinémas ayant retenu le film.
[1] Le Figaro, n°279, 6 octobre 1921. Consultable en ligne [lien].
Amusant ce billet sur une inauguration qui, finalement, n’a pas fait bcp de bruit… Continuez, ça me plaît !