VUE SUR LA VILLE avec PHILIPPE PUMAIN

Sur le toit du Louxor, avec vue sur la ville

L’architecte, comme le cinéaste, est travaillé par l’esthétique, la technique mais aussi par la question politique, au sens du rapport à la cité et aux citoyens. Tous deux manient et pensent l’espace, le plan, la projection et le cadre avec précision et passion pour l’œuvre qu’ils construisent ; avec le même souci d’inscrire leur geste dans le temps.

Rencontre avec Philippe Pumain, l’architecte en charge de la réhabilitation du Louxor-Palais du cinéma, il évoque ici son parcours, son travail et son rapport à la ville et au cinéma. Ce premier entretien s’articule avec un échange plus long sur le chantier du Louxor que nous vous livrerons prochainement.

Comment devient-on l’architecte du Louxor ?

Je suis architecte depuis près de 25 ans. J’exerce essentiellement dans le domaine de la construction et la réhabilitation de bâtiments culturels. Le chantier du Louxor est au croisement de ces deux activités.  J’ai une certaine expérience dans la réalisation de projets similaires, c’est ce qui m’a notamment permis d’être retenu par la Ville de Paris.

A quels projets en particulier pensez-vous ?

Je pense par exemple à un projet parisien, assez proche en termes de problématique, à savoir la réhabilitation du théâtre de la Cité internationale universitaire réalisée en 2004-2005. Sur ce type de projet, je travaille en association avec deux confrères, Xavier Fabre et Vincent Speller, et, sur le Louxor, avec Christian Laporte, architecte du patrimoine*, qui est chargé des parties protégées**.

Grand Théâtre de la Maison Internationale Cité Universitaire, salle de la coupole
© Philippe Pumain Architecte

Vous êtes également scénographe, en quoi cela consiste ?

L’architecture est mon activité principale, il m’arrive effectivement de faire de la scénographie, l’approche est différente, éphémère, contrairement à l’architecture qui s’inscrit dans le temps. La dernière exposition réalisée à Paris a été celle du Musée Carnavalet, “Bâtir pour le Roi”, sur Jules Hardouin-Mansart, l’architecte de Louis XIV à qui l’on doit notamment Saint-Louis-des-Invalides. Ce qui était intéressant sur ce projet c’est qu’il impliquait à la fois une dimension architecturale à laquelle j’ai été particulièrement sensible, Hardouin-Mansart étant une figure emblématique de l’architecture, un “grand ancien”, et l’aspect scénographique de l’exposition, c’est-à-dire comment présenter dans un espace donné, les œuvres de la meilleure façon, avec tout ce que ça implique, les questions d’éclairage, de conservation des œuvres, etc. J’ai également réalisé récemment l’aménagement du musée de la Cavalerie à Saumur, la muséographie est à ce titre une autre facette de mon travail d’architecte.

Scénographie « Bâtir pour un Roi », Saint-Louis des Invalides, Musée Carnavalet
© Philippe Pumain Architecte

Vous exercez dans d’autres domaines que la culture ?

En tant qu’architecte, je pense qu’il faut être polyvalent : on doit être capable d’œuvrer aussi bien dans l’hospitalier que dans le scolaire ou le culturel. J’ai par exemple construit à Paris deux écoles et rénover un collège (Colette Besson) dans le 19e. arrondissement. Je ne revendique aucune spécialisation, mais il est vrai qu’à partir du moment où l’on a des références dans un certain domaine, la tendance veut que les maîtres d’ouvrages vous consultent plus souvent sur votre domaine de référence, ce qui n’est évidemment pas un désavantage.

Le Louxor est votre première salle de cinéma ?

Oui, mais j’ai une expérience comparable pour avoir réalisé des salles de théâtre et des auditoriums : on est dans des problématiques assez proches en particulier concernant tout ce qui est lié à l’acoustique, même s’il ne s’agit pas exactement de la même chose, en particulier pour la réverbération. Pour parler technique, il faut être plus absorbant dans une salle de cinéma. Si les matériaux, la manière de les mettre en oeuvre change, l’attention portée à la qualité acoustique des salles de spectacle, que ce soit de théâtre, de musique ou de cinéma, est la même.

Lorsque l’on est architecte, comment intègre-t-on l’environnement, c’est-à-dire  le quartier, la population, dans le projet ?

Je suis sensible, tant par ma formation d’architecte que par l’approche que j’ai de l’architecture, à la question artistique et à la valeur d’usage.

Chaque bâtiment a une valeur artistique, l’architecture elle-même relève de l’expression artistique. D’ailleurs, on constate que pour la plupart des personnes qui le connaissent ou l’ont connu, le Louxor est une œuvre à part entière. En parallèle, se pose la question de la valeur d’usage, c’est-à-dire la façon dont les gens – y compris ceux qui ne sont pas forcément des usagers du cinéma – vont s’approprier ce bâtiment, le vivre, le pratiquer au quotidien.

Compte tenu de son emplacement stratégique, à l’angle de ces deux grands boulevards au carrefour Barbès, j’ai souhaité retrouver ce qu’était le dispositif d’origine. En journée, le porche sera totalement ouvert sur l’extérieur et, le soir, pour des raisons de contrôle et de sécurité, une grille fermera le porche. Les passants pourront aisément le traverser en journée, ce qui permettra à cet angle du carrefour, qui apparaît serré, vu l’important trafic piéton qu’il y a dans le quartier, de respirer et d’offrir un espace plus confortable.

L’idée est de redonner une partie du bâtiment à l’espace public, c’est une démarche de générosité à l’égard de l’environnement proche. Aujourd’hui on assiste plutôt à l’inverse, la tendance est de plus en plus à la privatisation des espaces qui étaient jusqu’alors des espaces publics. Nous allons inverser cela : cet espace, jusqu’alors “privatisé”, va revenir dans l’espace public. C’est une démarche que je revendique en tant qu’architecte, mais aussi en tant que citoyen.

Quel est votre rapport au cinéma et comment celui-ci intervient-il dans votre travail ?

J’ai bien sûr un rapport au cinéma dans mon travail, mais pas au sens anecdotique de la référence à tel ou tel film. Il s’agit de quelque chose de plus large qui croise l’intérêt du spectateur de cinéma que je suis et l’architecte. Cela se traduit pour moi par une réflexion sur la qualité architecturale des salles. De nos jours, on a trop tendance à banaliser les salles de cinéma. On a le sentiment qu’aller au cinéma n’est plus autant un plaisir, comme ça a pu l’être jusque dans les années 50, où il y avait un effort sur la décoration, sur l’agencement des volumes, etc. De telle sorte que lorsque l’on pénétrait dans une salle l’émotion que chacun ressentait était aussi une émotion spatiale, architecturale. Cette émotion n’était pas seulement due au seul plaisir d’aller au cinéma pour voir un bon film.

Une fois installé dans la grande salle du Louxor, on ressentira cette forte émotion, notamment grâce à l’imposant décor d’origine que nous aurons restitué. Nous souhaitons qu’il en soit de même pour les deux salles en sous-sol, certes avec des moyens plus modestes. La forme des salles, la décoration et l’éclairage contribueront à susciter un plaisir de même nature. Je souhaite que ces salles ne soient pas banalisées. J’aimerais que les spectateurs se disent que c’est agréable, confortable, beau, au-delà de l’intérêt qu’ils portent aux films. L’architecte travaille avant tout sur l’espace et la qualité de cet espace.

Le film sera donc meilleur s’il est projeté dans une plus belle salle…

Je le pense ! En tout cas, pour un certain nombre de gens. Je crois également au caractère pédagogique de notre métier. La banalisation et la négligence des espaces a créé un mouvement vers le bas et, petit à petit, un désintérêt des spectateurs pour les salles de cinéma. Au final, ils se sont habitués aux salles inconfortables et négligées. Le tout contribuant à la perte du sens critique. En créant des espaces de qualité, ils reprendront goût et apprécieront d’autant plus le confort et le plaisir d’être au cinéma.

Ceci contribuant à créer du désir de Louxor et de cinéma…

Absolument, et du désir d’espace, c’est ce que nous souhaitons valoriser. Cet ensemble donnera certainement envie aux spectateurs de rester, de faire un tour à l’espace expo, d’aller prendre un verre au café club, de se retrouver après le film. L’idée est de ne pas aller au cinéma pour simplement, entrer, voir un film, et ressortir.

Le Louxor est une salle unique en son genre en France, pensez-vous que les gens vont se déplacer pour la découvrir ?

Je pense que le bouche-à-oreille fonctionnera bien pour un lieu comme celui-ci. Si les spectateurs trouvent la salle remarquable, ils en parleront et cela drainera un public plus large que celui des cinéphiles. Mais c’est avant tout la programmation qui donnera envie aux gens de venir.

*Le Louxor est inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques
** façades et toitures

Bio express. Philippe Pumain est architecte DPLG depuis 1987. Il enseigne l’architecture à l’école de Paris-La Villette et de Paris-Malaquais, ainsi que la scénographie à l’ICCOM. Il a réalisé, construit et scénographié de nombreux projets culturels à Paris et à l’étranger. On lui doit notamment l’aménagement du Musée de la Cavalerie à Saumur, la rénovation du théâtre Mariinsky à Saint-Pétersbourg, la restructuration du Grand Théâtre de la Maison Internationale à Paris etc. Il est aujourd’hui l’architecte en charge de réhabilitation du Louxor, désigné par la Ville de Paris en 2008.

Lien : www.pumain.fr



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Laurent Laborie

Laurent Laborie est président de PARIS-LOUXOR.