Alors que la renaissance de l’ancien cinéma, puis salle de spectacle, Le Méry était attendue en théâtre Le Métropole… c’est finalement une salle de fitness “Episod”, concept-store des clubs Neoness, qui ouvre ses portes le 3 octobre, place de Clichy. Une salle de spectacle disparaît à Paris, sans un mot, sans un bruit. Retour sur la petite histoire et les derniers jours du Méry, salle de quartier du 17e arrondissement de Paris.
Le Clichy
Construit en 1935, “Le Clichy”, situé au 7, Place de Clichy -que l’on pouvait joindre en demandant à l’opératrice “Marcadet 94-17”- est un petit cinéma permanent de 345 places de style paquebot (Art déco), comme son voisin du 18e arrondissement, l’Ornano 43 réalisé par l’architecte Maurice Gridaine. La salle comprenait alors ce qui est aujourd’hui la Librairie de Paris. Le Clichy ouvre ses portes le 24 octobre 1936 avec un film de Jean de Limur “La garçonne”, avec Marie Bell dans le rôle titre (Monique Lerbier), Arletty, Suzy Solidor et Edith Piaf dont c’est la première apparition à l’écran. L’artiste chante “Quand même”… ce que les images n’osent alors montrer.
Extrait de la chanson “Quand même” interprétée par Edith Piaf dans “La garçonne” de Jean de Limur (1936).
“La vertu n’est que faiblesse, Qui voit sa fin dans le ciel, Je préfère la promesse Des paradis artificiels. [...] Que sous la drogue lentement, D’extase en extase suprême, Je m’approche implacablement Du sombre asile des déments. J’en prends quand même… [...] Mes sens inapaisés, Cherchant pour se griser, L’aventure des nuits louches, Apportez-moi du nouveau. Le désir crispe ma bouche. La volupté brûle ma peau…”
Le film est une adaptation à l’écran du roman éponyme de Victor Margueritte[1], ouvrage sulfureux publié 1922, évoquant ces femmes qui veulent vivre pleinement leur vie, à une époque où la question de leur émancipation déchaîne les passions[2]. En 1923, une première adaptation cinématographique d’Armand du Plessy fut censurée dès sa sortie, le film (aujourd’hui disparu) est jugé “corrupteur” notamment pour “attouchements indécents” et “danses lubriques”. Le rejet des conventions de la haute société, l’amour avant le mariage, l’infidélité, les paradis artificiels et la bisexualité en toute liberté, voilà de quoi secouer la morale bourgeoise de ce début des années 1920. La version de 1936 (dont l’affiche indiquait en toutes lettres “Pas pour enfants”), tout comme celle de 1957 (interdite au moins de 16 ans) de Jacqueline Audry, échappera à la censure en évitant soigneusement de montrer les étreintes féminines. Le roman, les pièces et les films, portés par le parfum de scandale, furent des succès. Un film de choix pour lancer la carrière du Clichy.
La semaine du 14 juillet 1939, le Clichy projette le film “Le monde en armes” de Jean Oser (monteur de “L’Atlantide” de Pabst en 1932), qu’il qualifie dans ses publicités d’une “brûlante actualité” et un vaudeville au titre plus fantasque… “Trois artilleurs à l’opéra”. La guerre sera déclarée à l’Allemagne nazie, le 3 septembre. Son voisin, le Gaumont Palace, jouait également du pistolet cette semaine-là avec “Le brigand bien aimé”, western sur la vie de Jesse James tourné en Technicolor avec notamment Tyrone Power et Henry Fonda et “Marthe Richard au service de la France” l’histoire d’une espionne française infiltrée durant la première guerre mondiale, avec Edwige Feuillère et Erich Von Stroheim. La programmation du Louxor se révélera pour sa part plus légère avec un “festival de la joie et du fantastique”.
Le Méry
Le Clichy fermera à l’été 1963 après une carrière de cinéma de deuxième exclusivité pour rouvrir deux ans plus tard sous le nom de “Méry” en hommage à Méry Boublil, la nouvelle directrice des lieux. Après rénovation et transformation, en 1965, Le Méry dispose alors de 250 places, pour sa réouverture il projette “Le Souteneur” (Il Mantenuto), une comédie réalisée par le comédien Ugo Tognazzi. En 1979, alors que s’entame la lente disparition des salles de cinéma de quartier, le Méry se recycle, comme de nombreuses autres salles sur le déclin, en cinéma porno, il est de nouveau modifié pour y accueillir des projections permanentes de 14h à minuit. Il éteint définitivement son projecteur en 1996 dans l’indifférence la plus totale. L’ambiance des années X du Méry sera portée à l’écran quelques années plus tard, en 2002, dans le film de Jacques Nolot “La chatte à deux têtes” (présenté à Cannes dans le sélection “Un certain regard”). Le réalisateur témoigne au moment de la sortie du film “[Le Méry] un lieu d’une grande gaieté, très fréquenté avant sa fermeture. J’y allais moi-même pour écrire. Les gens venaient en couple à l’époque, maintenant ils vont dans des clubs échangistes. »
Le ciné porno comme lieu de rencontre et d’échanges amoureux, à l’instar de la Scala [retrouvez ici et là l’histoire de la Scala] autre cinéma qui a connu un passé classé, une activité qui perdure encore aujourd’hui à l’Atlas (actuellement à la recherche d’un repreneur) de la place Pigalle, qui a su s’adapter à la désaffection des salles de quartier, entamée par la télévision, la vidéo puis internet, pour se recycler dans le divertissement-écran de la rencontre souterraine comme en témoigne ce reportage embarqué du site Vice.com. En 2003, une nouvelle rénovation est entreprise, de cinéma, il devient théâtre sous l’impulsion du producteur Mendy Younes. Les 240 places seront désormais dédiées au café-théâtre et à la chanson, Richard Bohringer, Chantal Lauby ou encore les chanteurs Renan Luce et Arnaud Fleurent-Didier, pour ne citer qu’eux, s’y produiront.
Le Métropole, projet fantôme
Nouvelles difficultés… notamment avec la propriétaire des murs avec laquelle le gérant est en litige… rideau. Le nouveau Méry ferme en 2010. Il est par la suite racheté en 2015 par la société de la responsable des activités de l’homme de télévision et producteur Arthur, autour d’un nouveau projet “Théâtre Le Métropole”. Site internet flambant neuf, communication en façade, le nouveau théâtre, dont le projet serait d’ouvrir une sorte d’“Arthur Comedy Club” est annoncé pour 2017. Le dossier est alors confié aux cabinets d’architectes VIA35 et Skylines. Les premières ébauches disponibles sur le site de Skylines évoquent l’esprit du projet. Une salle de spectacle de 300 places, sur 1000 m2 de surface, à l’image des théâtres de Broadway, avec une devanture ornée de néons, des portes en bois sculptées, un lustre en verre, des tapisseries et une typographie Art déco.
EPISOD, concept-store
Quelques mois après le la mise en place de la communication de façade, tout se fige, et en toute discrétion, le grand panneau “Théâtre Le Métropole. Opening Soon” est démonté au printemps 2017. En septembre, surprise, des habitants du quartier nous informent que l’historique “Clichy”, dont le bâtiment n’a jamais été inscrit ni classé, s’apprête à devenir… une salle de fitness comme en témoignent les panneaux d’information du chantier : “Travaux de modifications de surfaces et façades d’un local existant, anciennement un théâtre et donc assimilable à un CINASPIC (NDLR Constructions et Installations Nécessaires Aux Services Publics d’Intérêt Collectif) en vue de l’aménagement d’un club de fitness”. Tout réside dans le “et donc”. Il serait ainsi possible d’annoncer la construction d’un théâtre puis de modifier en cours de projet le permis de construire, à la condition qu’il soit assimilable à un service public d’intérêt collectif, quelqu’en soit la nature. Dont acte. Ainsi, la société de salles de sport Neoness prend la suite de l’ex-futur Métropole d’Arthur et associés pour y lancer son premier concept-store de “sport à la carte” sous l’enseigne Episod, la salle ouvrira ses portes le 3 octobre prochain.
Cet ancien cinéma de quartier et salle de spectacle de la place de Clichy, disparaît sous le manteau. Pas de retour en arrière possible, rien ne subsiste de la structure d’origine, place désormais au concept, au “hub” et au sport selon son humeur. Du Clichy au Méry, jusqu’au dernier Episod, c’est dans cette salle, où les corps furent projetés, libérés, enlacés, aimés, mais aussi dégradés, qu’ils seront désormais bien entretenus. Ironie de l’histoire pour la garçonne Monique Lerbier…
Sauvegarder
La question se pose aujourd’hui de la disparition de ces salles de cinéma et de spectacle et de l’incapacité de préserver ces lieux de culture en raison du caractère privé de la transaction. N’aurait-il pas fallu, à l’instar de la Scala dans le 10e arrondissement, sanctuariser la destination du lieu à une activité culturelle ? Il conviendrait d’encadrer et de communiquer plus clairement sur toutes modifications des lieux de culture et de patrimoine, a fortiori lorsque ceux-ci ne sont pas classés. La question est aujourd’hui posée.
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Carte postale de la Place de Clichy, site « Ciné-façades » de Philippe Célerier
Merci à Dominique Blattlin pour le prêt des photos du Méry.
Illustration du projet du Théâtre Le Métropole, cabinet d’architecte Via35
> Commentaires, témoignages, documents, photos etc. sont les bienvenus.
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[1] Margueritte, par ailleurs président de la société des gens de lettres, se verra retirer, quelques mois après la publication de son roman, sa légion d’honneur décernée par Raymond Poincaré.
[2] La même année, lors d’un débat au Sénat sur le vote des femmes, l’un de ses plus farouches opposants, le sénateur Alexandre Bérard, déclarait que [leur] accorder le droit de vote ce serait “déclencher la guerre civile et sceller la pierre tombale de la République !”. Rien de moins.