[ARCHIVES] Hommage. L’ancien maire du 9e arrondissement, Jacques Bravo, vient de nous quitter. Passionné de théâtre et de cinéma, nous l’avons rencontré en mars 2012, un an et demi avant la réouverture du Louxor. L’entretien est resté dans nos tiroirs, nous devions nous retrouver pour poursuivre cet échange, il y tenait, le temps nous a manqué, nous l’avons laissé filer. Nous publions aujourd’hui cet entretien inédit dans lequel Jacques Bravo parle avec passion de culture, de cinéma, de théâtre, du Louxor, et naturellement du 9e arrondissement.
Quel regard porte le maire du 9e arrondissement sur la réhabilitation du Louxor ?
Le 9e est un carré d’1,6 km de côté (Le maire prend une feuille et un stylo et dessine l’arrondissement), les personnes qui habitent dans les coins du carré ont toujours eu le sentiment qu’ils étaient plus ou moins loin du centre, c’est mathématique. Depuis que je suis maire, je suis très attentif à cette demande d’appropriation par les citoyens habitant aux extrémités de ce carré. Dès la précédente mandature, en 2001-2002, d’emblée, la question du Louxor a créé une dynamique dans le quartier. Il est extrêmement positif de constater que les habitants s’approprient leur quartier en faisant des propositions de toutes natures.
Un des intérêts du Louxor est qu’il est situé à l’un des quatre sommets du carré ; j’ai une vocation naturelle à regarder tout cela de très près, à écouter les gens. J’ai suivi pendant les premières années les réactions parfois surprenantes des citoyens qui exprimaient des exigences sur ce projet au risque, soit de le reculer dans le temps, soit de le compromettre. Il faut toujours écouter les critiques, les analyses mais il faut faire attention car il y a tellement de besoins sur Paris que si on manque son tour, le manège tournera et il faudra attendre. Je trouve que c’est un projet qui a été accompagné depuis le départ par une très grande motivation : certains mettent l’accent sur le lien social, d’autres sur l’aspect culturel, d’autres sur la dimension “lieu de rencontre” du Louxor, j’y suis très sensible. Les associations du 9e nous demandent d’avoir la possibilité d’y tenir des réunions, des conseils d’administration, des activités. On a tissé tout un réseau pour offrir la possibilité de mettre à disposition des salles.
Les comptes rendus de mandat, les conseils de quartier, il est important dans l’exercice de votre mandat d’aller à la rencontre de la population pour échanger, être en prise avec les réalités du terrain…
Oui, c’est très important. J’ai une pratique tout à fait comparable à celle de PARIS-LOUXOR (nos “pots de rencontre” NDLR), j’organise des “cafés citoyens”, j’annonce à la population que je serai à une certaine heure dans un café et vingt à trente personnes viennent parler de tous les sujets et notamment tout ce qui touche le lien social. C’est une très bonne pratique. Chaque année avec une de mes adjointes, nous réunissons les animateurs de quartier, nous faisons une première liste d’une dizaine de projets d’intérêt local, on en débat et on fait voter en fin de réunion en attribuant des points aux projets préférés. Aussi, lorsque je bâtis mon budget, j’en tiens compte et je respecte l’ordre choisi. Ça va loin, ce n’est pas qu’une simple information, c’est une délibération collective où l’on écoute les arguments des uns et des autres. Je ne suis pas quelqu’un qui craint les citoyens chaque fois qu’ils viennent se mêler des affaires municipales, au contraire, c’est une avancée dans les pratiques démocratiques.
Quel autre type d’exemple de la prise en compte de la parole des citoyens dans l’exercice de vos fonctions pouvez-vous nous citer ?
Très directement. Au pied de la rue de Steinkerque se trouve le square d’Anvers. Quand on descend le square d’Anvers, il y a une petite rue qui s’appelle Turgot qui arrive sur une placette en pente, que l’on retrouve d’ailleurs dans de nombreux films. On a lancé le projet, avec le conseil de quartier, d’aménager, d’améliorer et d’agrandir, le square d’Anvers vers le sud. Plusieurs projets avaient été proposés par des citoyens, des cabinets d’étude, les services de la ville etc. dont l’un était de créer une coulée verte partant du pied de Montmartre, rue de Steinkerque et descendant jusqu’en bas de la rue de Maubeuge. Le projet était très motivé, j’ai fait valoir que ce n’était pas très évident à mettre en place, que l’on n’aurait pas forcément les budgets pour le faire et qu’il y avait plusieurs étapes. On a eu un deuxième projet travaillé avec le conseil de quartier qui a été d’aménager à base de rectangles comme on le fait dans le midi dans les terrains en pente, et tout le monde est satisfait. On a eu des discussions entre ceux qui avaient une grande ambition et pas les moyens d’aller à terme, et cela impliquait toute une série de décisions, l’avis du préfet de police, la modification de la circulation, etc. versus aménager la place pour se la réapproprier et l’on a fait un apéritif musical pour fêter cette petite place ce qui a plu à tout le monde. Quitte à demander l’avis des citoyens, autant le demander tôt et travailler avec.
J’ai fait trois mandatures d’opposition dans cet arrondissement avant d’être maire ; je sais ce qu’il manquait à cette époque là pour que la vie associative, vive. Lorsque j’ai été élu maire, il y avait six associations dont les statuts avaient été déposés en mairie du 9e, il y en actuellement plus de 200. Les chiffres sont bruts, cela signifie surtout que la vitalité associative existe bel et bien.
Le 9e est un arrondissement où se déroulent de nombreux tournages…
J’y suis très attentif. Je viens d’en signer trois. C’est important pour les générations futures, je trouve que c’est un investissement culturel indispensable à la nation, je veux laisser un témoignage de ce qu’était le 9e dans ces années là. J’ai une attitude ouverte sur les tournages tout en étant très exigeant avec les équipes de la mission cinéma, on a trop de contraintes techniques. Le 9e plait beaucoup au cinéma, faut-il citer la place Saint-Georges, le lycée Jacques Decour, Condorcet etc., etc. Dans ma rue, près de la place Saint-Georges, il fut un temps, il y avait des tournages toutes les semaines. Il faut raison garder. Par ailleurs, lorsque dans un tournage on filme votre rue, vous avez toujours plaisir à aller voir ce qu’il en est advenu au cinéma, parfois cela peut réserver des surprises. Dans Monsieur Batignolles qui a été tourné rue d’Aumale dans le 9e, pour des raisons de perspective lorsque la porte s’ouvrait… elle donnait sur les jardins de la mairie du 14e !! Gérard Jugnot a été très à l’écoute des habitants, le tournage avait duré trois semaines, c’était particulièrement compliqué pour les riverains. Je lui avais proposé d’organiser un pot avec une séance, dans la rue, de son film. Le propos est toujours le même : l’idée était de faire en sorte que les gens s’approprient les choses. A chaque fois que j’en ai l’occasion, je demande aux cinéastes de faire un geste dans ce sens. A la fois, les tournages sur la place Saint-Georges, il y en a trop, et on a le droit à toutes les publicités pour le fromage où il faut nécessairement une fille en short très court sur le bord de la fontaine…
En 2005, la ville de Paris avait proposé aux mairies d’arrondissement la projection d’un film tourné dans l’arrondissement. J’avais demandé que ce soit La Guerre des boutons. Nous avions tendu, à l’ancienne, un drap blanc dans la cour de la mairie, 1 000 personnes sont venues, en plein air. Ce fut un véritable succès populaire. J’avais proposé un petit jeu qui consistait à identifier les séquences tournées dans le 9e ; à chaque fois qu’un lieu était identifié, une habitante ou un habitant se levait et disait “Point !”. C’était très amusant, le jeu était rentré dans le film !
Le 9e arrondissement dispose de nombreux lieux culturels, théâtres, cinémas… Il y a d’ailleurs eu jusqu’à jusqu’à 45 salles de cinéma dans l’arrondissement…
C’est un terrain passionnant ! Il y a eu un recul des petites salles de théâtre, celles des boulevards où l’on tuait tous les soirs, le boulevard du crime (République-Saint Martin-Bonne Nouvelle), vous connaissez la chanson “Vous voulez du crime et du sang, vous en aurez tous les soirs pour 1 Franc”. Historiquement dans les années 50-60, beaucoup de salles de théâtre sont devenues des salles de cinéma, puis elles sont devenues des complexes, et le phénomène s’est étendu jusqu’en banlieue, aux portes de Paris. Aussi, le nombre de places de théâtre sur Paris s’est évaporé, le 9e a été l’arrondissement qui a le mieux résisté.
J’ai calculé le nombre de places de théâtre et la répartition par arrondissement. Le 9e concentre 37% des salles de théâtre de Paris, ensuite vient le 14e. Le 9e a de grandes salles, et j’inclus, parce que ce sont des salles de spectacles l’Olympia, Mogador, le Casino de Paris, les Folies Bergère, l’Opéra et tous les théâtres à l’italienne de 700 places, Edouard VII, le Théâtre de l’Œuvre, l’Athénée etc. La population du 9e et très fière de travailler et de vivre dans un arrondissement culturel. Le dimanche matin lorsque l’on descend la rue des Martyrs, vous croisez nombre de personnalités de la culture. Je vais beaucoup au théâtre, j’adore le théâtre, la musique. Ce qui est plaisant c’est de pouvoir sortir et de tout à faire à pied : aller au théâtre, au cinéma, aller dîner, retrouver des amis… c’est un bonheur.
Dans le 9e, nous essayons de développer une pratique culturelle ouverte. Dans les équipements que l’on a réalisé, l’une de mes grandes fiertés est d’avoir travaillé sur une école au numéro 12 de la rue Chaptal située à côté du Musée de la Vie Romantique, un lieu superbe qui a un succès fou, j’y prends souvent mon café avec ma femme ou avec des amis. Juste à côté, il y a l’International Visual Theatre (IVT) d’Emmanuelle Laborit ; c’est un lieu d’apprentissage du langage des signes et d’expression théâtrale. On a construit cette bibliothèque pour enfants, c’est un lieu extraordinaire et tous les praticiens nous le disent. J’y amène mon petit fils dans ce qu’on appelle un “bain de culture” : les enfants évoluent dans une sorte de piscine gonflée et nagent littéralement dans ce bain de culture dans lequel on trouve des livres musicaux ; ils découvrent ainsi les livres, la musique. C’est un formidable outil d’éveil et de créativité ; je vous encourage à y aller. Voilà l’illustration d’une rue qui a pris une densité culturelle importante. C’est un exemple. J’ai le souci d’équilibrer les choses sur le plan géographique. On est dans un arrondissement très dense, très resserré, la plupart de nos équipements publics se trouvaient plus sur la partie est de l’arrondissement, vers la rue de Rochechouart, le conservatoire des musiques, le centre Valeyre, etc. Une de mes idées était de rééquilibrer à l’ouest et d’y développer toute une série d’équipements scolaires, sportifs, culturels dont cette fameuse rue Chaptal. On ressent cette vitalité culturelle, ce désir de culture dans nos quartiers. Ainsi, quand le grand violoniste Laurent Korcia à l’occasion de la fête de la musique, ou autre, propose spontanément de jouer avec son quatuor dans la cour de la mairie, il y a 500 personnes ! Quand Marie-Christine Barrault lance dans le cadre du festival Paris en toutes lettres la lecture d’un texte sur son oncle intitulé Jean-Louis Barrault, 100 ans, c’est une soirée inoubliable. On a dans le 9e beaucoup de facilité et la population est très friande de ces rendez-vous culturels. Je relie le mot culture au mot citoyenneté, lorsque vous voyez le Carnaval des enfants où des enfants chantent dans toutes les langues, où toutes les cultures se mélangent, je me dis que notre République peut par moment s’exprimer positivement.
Justement, à Barbès on ressent fortement ce désir d’un regard plus juste…
Souvent on me dit, le Louxor, Barbès, c’est de l’autre côté, sur l’autre rive. Mon sentiment est que l’on a besoin, dans les quatre sommets de mon carré, de vivre quelque chose. Du côté de la Madeleine on a créé, avec une association rue Vignon, tout un tas d’activités tout comme on est en train de développer des projets avec la Pinacothèque. Tout ça pour dire qu’il faut envoyer un signal très concret aux gens qui sont du côté de la Madeleine bien qu’ils soient loin du centre, ils ne sont pas oubliés, c’est un quartier différent. Si je monte sur la place Clichy, entouré par quatre arrondissements, 8, 9, 17, 18e, on a fait des travaux, et j’en suis très heureux. Ca bouge. Tout le boulevard qui va de Clichy vers Barbès est mitoyen avec le 18e, on est profondément homogène, de l’un ou l’autre côté du boulevard, les gens traversent, vivent dans un même lieu, un lieu qu’ils connaissent. Nous avons la même ambition culturelle pour Barbès, qu’il y ait une appropriation de toutes les rives de Barbès ; il y a des gens différents, naturellement il faudra aménager des choses aussi concrètes comme la circulation des vélos et des piétons. Il faut permettre aux gens d’être ensemble, qu’ils portent des projets, qu’ils s’intéressent. Une autre extrémité du 9e, près du Rex, mène aussi une autre vie. Le 9e est un quartier très métissé et très populaire, la richesse c’est ça. C’est un territoire ouvert par nature. Les familles nombreuses du 9e achètent leurs fruits et légumes pour la semaine sur le marché de Barbès, il y a des itinéraires communs, des rencontres ; et sur le petit marché du vendredi, le long du square d’Anvers, c’est le plus petit marché de Paris qui marche le mieux !
Au début lorsque l’on parlait du Louxor et de Barbès, la première fois que je suis allé à une réunion quelqu’un a dit très gentiment, “il y a même le maire du 9e !”, sous-entendu Barbès était perçu comme une affaire 10-18e, mais vous l’avez vérifié j’ai été parmi les plus présents aux réunions sur Barbès. J’ai cette culture de l’autre rive, et lorsqu’il faut discuter d’arbitrages, on est plus fort à trois maires que seul ou à deux maires.
Comment travaillez vous avec les autres maires des arrondissements ?
Ce que je trouve très positif depuis 10 ans, c’est que l’on a supprimé les barrières : lorsque j’ai besoin de travailler avec la maire du 17e ou le maire du 8e, qui ne sont pas du même bord politique que moi, j’y vais. Nous sommes actuellement en train d’aménager la gare Saint-Lazare, l’enjeu est d’intérêt parisien, cela va bien au delà du 9e. Pour en revenir au Louxor, nous sommes trois maires, nous souhaitons travailler ensemble et émettre un signal, la culture se partage par nature et nous sommes ouverts, prêts à écouter les desiderata. Depuis le départ, je peux dire que c’est un projet qui nous occupe et nous intéresse. Nous avons eu environ 5 à 6 réunions par an depuis le début des années 2000. La ville a organisé plusieurs réunions, dont les réunions autour du carrefour Barbès organisées par le Secrétariat général de la Ville. Nous nous parlons avant afin de faire le point. Je crois savoir que ce n’est pas terminé. C’est une chance inouïe pour le Louxor d’avoir trois maires impliqués dans ce projet, c’est un atout considérable. Une telle configuration, ne s’est pas trouvée souvent depuis la Libération. Il s’agit là de conjuguer les énergies, d’avancer ensemble.
La culture est également touchée par la crise…
Lorsqu’il y a des difficultés, il est nécessaire de retrouver tout ce qui crée du lien social, tout ce qui amène l’homme à se dépasser. Je suis très humaniste et je dis en permanence qu’il faut remettre l’homme au cœur du village. Quand je regarde ce que je cherche à faire dans le 9e arrondissement, je retrouve l’esprit du Louxor. Je cherche à mettre en place des activités culturelles de qualité, j’ai cité Paris en toutes lettres, nous organisons des concerts, la Nuit blanche a eu un succès considérable cette année, je voudrais de l’audace, il faut que le Louxor soit un sujet d’audace. Je vais vous raccompagner tout à l’heure et vous montrerai une pièce vide… elle s’appelle “The Cube”, elle fait trois mètres sur trois. Dans cette salle, tous les deux mois on donne carte blanche à un artiste. Puisque les gens vont moins facilement à la culture, la culture ira à eux. Je me souviens, il y a un an ou deux, une artiste avait exposé un dispositif avec des tenues de mariées ; à tous les mariages pendant deux mois, les mariés se sont fait photographier au milieu de cette installation ! Ces audaces artistiques développent quelque chose de populaire.
Il y a de grands lieux de la culture à Paris, j’aimerais que le Louxor soit un lieu populaire. J’ai pris l’initiative il y a neuf ans de faire un festival Brassens, dans l’intégralité de son œuvre, il y avait 200 personnes au début, nous en sommes aujourd’hui à plus de 5 000 personnes, et c’est complet à chaque édition. Les balades imaginaires, Georges Sand, Chopin, Victor Hugo, on y raconte l’histoire en se promenant dans les rues de la ville. Hugo a failli se faire arrêter par la police juste avant son exil à Guernesey, il était rentré rue de Bellefond dans un immeuble dans lequel se trouvait un jardin qui communiquait avec la rue Milletone; quand vous expliquez ça aux riverains, de tous âges, votre quartier, votre ville vous semble alors plus proche, c’est une manière de se réapproprier son quartier. Les gens adorent ça. Le premier baiser d’Edith Piaf et de Marcel Cerdan, c’est au passage du Nord Ouest, en face du Palace. Autre exemple, le Casino de Paris se trouve rue de Clichy, le Théâtre de Paris se trouve à la même hauteur, sur la carte, sur la rue Blanche, les deux communiquent par un couloir. J’ai vu les directeurs des salles, et un jour, les artistes se croiseront ; c’est un jeu.
Il y a une petite avenue jardin, l’avenue Frochot, dans laquelle ont séjourné Django Reinhardt, Alexandre Dumas père, Sylvie Vartan, vous voyez comme je suis éclectique ! La belle grille et la belle façade ; c’était un théâtre de poche dans lequel a été créé Ouragan sur le Caine. Il faut permettre aux gens, aux habitants de redécouvrir leur quartier. A l’époque de Talma, 1800-1820, c’était le quartier Latin d’avant le quartier Latin ! Avant d’être maire, pendant quinze ans, j’ai organisé des visites du quartier à l’ancienne avec un mégaphone ! Je leur montrai mon 9e. Plein de surprises, de lieux cachés. Je ne pourrais plus le refaire aujourd’hui. Le 9e c’est tout une histoire, cela mériterait un film !
Mon prédécesseur, à chaque noël, payait une place du Rex aux enfants des écoles élémentaires. Les enfants allaient voir le Disney qu’ils auraient de toutes les façons vu en famille. Avec mon équipe, on offre une place de théâtre aux enfants, nous donnons Les Contes de Perrault, du Molière. Certains parents nous disent, « ce n’est pas possible, ils sont trop jeunes », je leur dis restez et regardez-les, vous allez voir ; à la sortie, les enfants sont enchantés. Une année, c’était un spectacle en langue des signes avec Emmanuelle Laborit, les parents doutaient, « ils ne vont rien comprendre, ce n’est pas de leur âge… » à la sortie, les parents étaient bluffés. La culture permet de se dépasser.
Pendant longtemps il y a eu un bâtiment qui était au 32-34 rue de Châteaudun, il appartenait à l’Education Nationale. C’est sur ce bâtiment caché par un préfabriqué que l’on y affichait les résultats des concours pédagogiques, un lieu bien connu des profs des années 1955 à 2005. Derrière ce préfabriqué, il y avait une superbe façade faite de dentelle de pierre, un endroit extraordinaire malgré son état à l’époque. Quand l’état a décidé de vendre le bâtiment, j’étais alors inspecteur de l’Education Nationale, je suivais cela de très près et leur avais dit que si j’étais nommé aux affaires municipales, on en ferait quelque chose de grand. Je l’ai fait racheter par la ville. Il y a désormais une crèche, du logement social et des locaux associatifs. Quand vous aimez quelque chose, cela se voit, les habitants du quartier sont vraiment très fiers, mêmes ceux qui n’y habitent pas sont enchantés de voir ce bâtiment enfin dévoilé.
J’aimerais que les écoles élémentaires portent un nom à Paris, c‘est pas le cas, c’est le cas pour les collèges et les lycées, et pour les écoles en province. Elles portent généralement le nom des rues, mais quand vous avez deux écoles dans la même rue… Si les écoles portaient le nom de personnalités ayant vécu dans le quartier ce serait plus vivant. Fernandel a par exemple habité au 15 du square d’Anvers.
Concrètement, comment faire, cela dépend du Conseil de Paris ?
Oui et pas seulement. Cela concerne beaucoup de monde mais c’est très contraignant, on ne peut utiliser le même nom pour une voirie et une école…
Vos premiers souvenirs de cinéma, premières images, premières émotions…
J’en ai un souvenir précis, c’est en moi. J’ai 5 ans, mon père était officier de marine, très bricoleur. Il avait bricolé un vieil appareil à projeter des films. J’étais le fils ainé et l’accessoiriste, naturellement j’en étais très fier. Chaque semaine, nous projetions Buster Keaton, Charlie Chaplin, etc. je les connais par cœur, à l’endroit, à l’envers; c’était le bonheur. C’était mon cinéma Paradisio du jeudi (le mercredi de l’époque, NDLR). C’était un réel plaisir de la machinerie et de la projection. On avait beau connaître tous les gags avec mes 5 frères et sœurs, les copains, c’était superbe. Mes premières images, c’est de revoir pour la Xième fois les mêmes images de Charlot et de me tordre toujours autant de rire. J’ai en tête aussi cette image de Charlot dans les Temps Modernes, ramassant un chiffon rouge, l’agitant et se retrouvant à la tête d’une manif bien malgré lui. Vous ne pouvez pas imaginer comme on raffolait de ces moments-là. J’y ai repensé récemment en voyant The Artist.
J’ai fait mes études dans un internat du centre de la France, puis je suis arrivé à Paris après avoir réussi les concours des grandes écoles. Pendant deux ans, j’ai tenu le record de ma promo à la Cité internationale du Boulevard Jourdan, en allant voir 3,2 films par jour ! J’allais au Champollion, Pour moi Paris, c’était le Champo. Je suis très bon public au cinéma. J’ai eu plusieurs périodes, les films d’action, historiques, les films romantiques. J’étais amoureux d’Aurore de Nevers dans Le Bossu, que j’ai vu un nombre incalculable de fois, j’ai beaucoup vu Sissi avec mes sœurs, mais Sissi n’était pas mon genre ! (rires)
Ma pratique du cinéma dépend de mon envie, de ma disponibilité, il peut m’arriver d’y aller une fois par jour… ou une fois par mois. Je reconnais que je vais souvent voir des acteurs lorsque je sais qu’ils ont été exigeants dans leur choix…
Comme Clint Eastwood… vous avez déclaré dans une interview que vous l’admiriez…
Oui je suis très Clint. Je ne partage pas les mêmes idées… mais son élégance, son allure, la manière qu’il a de traverser l’écran… oui, c’est un acteur que j’aime bien. Ma femme aime le cinéma plus que moi, d’ailleurs on a souvent les mêmes envies. Nous allons souvent au Cinq Caumartin, on sait qu’on y trouvera toujours un film à notre goût. Donc les gens peuvent savoir ce que j’aime au cinéma en allant au Cinq Caumartin ! Pour finir, un dernier mot sur la salle Le Louxor, je pense qu’il est important, de créer un climat d’exigence culturelle, de trouver des relais et des partenaires. Oui, il faut de l’audace, du mouvement, de l’ouverture et une grande écoute pour toutes celles et ceux qui veulent apporter positivement leur énergie, ce projet est magnifique, je sais que le soleil du Louxor brillera prochainement.