Qu’il est long ce silence. Aux dernières nouvelles, le monde sera encore là mardi prochain. Nous continuerons à nous adresser des messages quotidiens, des images de nos intérieurs ; de nos intimités confinées, à créer des moments uniques, à prendre des nouvelles de nos proches, de nos voisins, à penser à ceux qui triment, souffrent au quotidien, à ceux qui partent, des souvenirs difficiles pour demain. De cette exposition distanciée, on n’a vu que ce que l’on a bien voulu (nous) montrer. C’est tout un monde qui s’est exposé à nous, agité, bien que retenu par ce calme tendu d’un rythme à bout de souffle.
La ville prend son temps, rompant avec le flux permanent des circulations du carrefour Barbès.
Puis l’on a entendu ce silence, ce souffle si rare qui se faufile et déshabille une rue, une avenue, un parc, révélant des sons insoupçonnés, que seules les sirènes interrompent. Rues désertes, rideaux fermés contrastant avec la petite foule de badauds plus ou moins masqués des week-ends ensoleillés, de joggeurs déconfinés, et au milieu, le Louxor, figé, silencieux, faisant écho à ses trente années d’invisibilité.
Un cinéma, c’est une fenêtre sur le monde, bien que fermée, les habitants du quartier et au-delà, ne l’ont pas oubliée. Derrière le rideau tiré, ce sont des femmes et des hommes, des vies, des emplois, à l’accueil, à la sécurité, en cabine, au bar, au micro devant l’écran, à la programmation, aux chiffres, à la direction… En décembre dernier, nous rencontrions le directeur du Louxor, Emmanuel Papillon (ici), dans une cantine du quartier, pour faire le point sur ces sept années à la tête de la salle de cinéma. Un entretien qui suscita de nombreuses réactions, des encouragements, et contexte oblige, se prolonge d’une question simple « Comment allez vous ? ».
Aussi, pour répondre à chacun, pour maintenir le lien, à partir de ce qui nous avons en commun, l’amour du cinéma, le quartier, il a proposé à son équipe d’évoquer le point de départ de leur cinéphilie. Nous pensons à eux, nous vous livrons ici leurs réponses, Et nous vous invitons, à votre tour, à partager vos témoignages : « Et pour vous, comment a débuté votre amour du cinéma ? ». (Pour vos témoignages : contact[arrobase]paris-louxor.fr). Prenez soin de vous et de ceux qui en ont besoin.
Cliquez sur le titre du film pour voir l’extrait vidéo choisi.
Antoine Pineau – agent d’accueil.
MONIKA – Ingmar Bergman
Je devais avoir 16 ans. C’était en pleine nuit, dans le lit de ma chambre d’adolescent. J’ai découvert le film en dvd sur mon ordinateur. C’est la première fois que j’ai pleuré devant un film. Cette nuit-là, j’ai compris que le cinéma aurait une place primordiale dans ma vie.
Axel Nouveau – pianiste, intervenant ciné-concert.
LA VIE EST BELLE – Roberto Begnini
La première scène qui me vient à l’esprit quand je pense à mes premiers émois cinématographiques c’est la scène finale de La vie est belle, quand le char américain vient sauver Giosué et qu’il pense avoir gagné le jeu imaginaire de son père.
J’ai vu le film à sa sortie en 1998 avec ma grande soeur, je ne sais plus trop où, je crois que c’était dans une petite salle parisienne mais mon souvenir est flou, je me rappelle en tous cas qu’on était tous les deux en larmes à la sortie.
Benjamin Gallet – agent d’accueil.
MULHOLLAND DRIVE – David Lynch
Vu à 16/17 ans, à sa sortie, au Katorza à Nantes. Souvenir de la fin du film : je trouve ça incroyable, je ne comprends rien, je ne veux surtout pas que ça s’arrête là, maintenant, je me répète en boucle « faut pas que ça s’arrête, faut pas que ça s’arrête » et là évidemment, noir, générique. C’est le film que j’ai le plus revu, je l’ai d’ailleurs revu deux fois (dont l’une en pellicule) au Louxor, et que je continue de trouver complètement fascinant.
Benjamin Louis – directeur technique.
DELICATESSEN - Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro
Ça n’est pas le moment le plus poétique du film mais cette séquence de promiscuité dans un immeuble a le mérite d’être d’actualité en cette période de confinement … Je me souviens avoir vu ce film avec ma mère un peu au hasard des sorties en salle en 1991. Ses réalisateurs géniaux étaient encore méconnus à l’époque et nous étions très ignorants et sans a priori… La séance términée, nous avons emporté un peu de rêve dans le sombre escalier de la sortie et dehors nous avions le sentiment très enthousiaste d’avoir enfin vu quelque chose de neuf, une oeuvre d’art. Cette impression se confirmait en parlant du film devant un chocolat chaud… Un bon cinoche ! J’ai revu ce film si bien rythmé avec autant de plaisir et j’en constate à chaque fois l’harmonie. La cohérence de toutes ces idées pourtant exprimées simplement avec cette esthétique bizarre et si typique qui a été beaucoup plagié depuis. Un ovni, un poème cinématographique…
Camille Verry – assistante de programmation.
CHARADE – Stanley Donen
Vu pour la première fois à l’âge de 18-20 ans environ, un été, avec mes parents, dans une petite salle de cinéma parisienne de répertoire, mais je ne sais plus laquelle (Sûrement un « Action » de l’époque, Action Christine, ou Action Ecoles…). Et revu 4 ou 5 fois en DVD depuis… Film fondateur de ma passion pour la délicieuse, facétieuse et tellement classe Audrey Hepburn !
Charlotte Soubrane – projectionniste.
JOUR DE FÊTE – Jacques Tati
Je crois que c’est mon Papa qui m’a montré ce film à la télé quand j’étais petite et je l’ai revu plusieurs fois (mon cousin avait la cassette !). Je l’ai vu une seule fois dans un cinéma en 2013 ou 2014, mais je ne sais pas dans quelle salle (je sais juste que c’était à Paris).
Claire Vaudey – serveuse au bar du Louxor.
UN CONTE DE NOËL – Arnaud Desplechin
Quand je suis arrivée à Paris pour mes études, c’était le mois d’août et je ne connaissais absolument personne à part ma sœur qui habitait déjà sur Paris depuis quelques années. J’ai donc passé un mois dans un studio en attendant la rentrée au Beaux-Arts sans savoir trop quoi faire. Pour faire passer le temps ma sœur me donnait des DVD, c’était à un moment où, quand on achetait le journal Le Monde le dimanche, il y avait un DVD avec. Bref, il y avait plein de très bons films, mais pas forcément ceux qu’on a envie de voir à 20 ans quand on arrive dans une nouvelle ville… donc après Stromboli, Aguirre la colère de Dieu, Allemagne année zéro… je suis tombée sur Desplechin, c’était génial, cynique et drôle, ouf !!
Emmanuel Papillon – directeur.
LA FIÈVRE DANS LE SANG – Elia Kazan
La scène finale de La fièvre dans le sang (Splendor in the grass) 1961. Elia Kazan. Je me souviens d’avoir vu le film en VHS avec un ami très cinéphile. Le film avait du être enregistré au cinéma de minuit, ciné-club de Patrick Brion (merci à lui pour son énorme contribution à ma cinéphilie). Je devais avoir l’âge de Natalie Wood et de Warren Beatty. Le film m’a touché profondément et encore aujourd’hui je ne peux pas voir cette scène finale sans une forte émotion. Tout est juste dans cette fin le découpage de Kazan, la musique, le dernier regard de Natalie Wood et ce cow-boy qui part à cheval. Nous sommes en 1961, le grand cinéma hollywoodien est en train de tourner la page.
« Though nothing can bring back the hour
Of splendour in the grass, of glory in the flower … »
Fabienne Duszynski – intervenante ciné-club.
DÉTOUR – Edgar G. Ulmer
C’était au tout début des années 90 – 1991 ou 1992, me semble-t-il. C’était un mardi soir à 21 heures – cela, j’en suis sûre parce qu’à cette époque le Métropole (cinéma de Lille où j’étais alors étudiante) montrait tous les mardis à 21h un film de répertoire. J’y allais systématiquement, sans même me donner la peine de consulter le programme que je ne découvrais qu’une fois sur place. Les « classiques » (j’ai découvert sur grand écran M le Maudit, Citizen Kane, des films de Fellini, Godard ou Antonioni) alternaient avec des raretés, exhumées au hasard des restaurations de copie. Je ne ratais rien. C’est dans ce cadre que j’ai découvert Détour d’Edgar G. Ulmer, un film de série B sorti en 1945, film noir réduit à son épure, brut, film fauché (j’apprendrais, bien plus tard, qu’il avait été réalisé en 7 jours – montage compris) qui oblige à l’intelligence de la mise en scène. Ce fut un coup de foudre, qui se mua en obsession ; je ne cessais, les jours suivants, les semaines suivantes, les mois suivants, de penser à ce film dont je vantais auprès de mes camarades cinéphiles la force et les singularités. Je fus, pendant longtemps, « la-seule-qui-avait-vu-ce-film-génial-qui-ne-passe-jamais-nulle-part » (c’était avant le DVD, et bien avant Internet).
On sent ici la pauvreté du budget de production, mais il suffit à Edgar G. Ulmer de rideaux autour d’une ébauche de scène, de quatre tables hantées par une dizaine de figurants pour nous faire croire au club de jazz new-yorkais où sont censées se dérouler les premières scènes du film. Pourtant, le réalisateur sait prendre le temps, un temps dont il ne dispose pas (il lui faut raconter une histoire en 1h et 8 minutes). Ainsi cette scène où le personnage principal, pianiste de jazz qui s’apprête à prendre la route pour y rencontrer des ennuis, détourne une valse de Johannes Brahms en un boogie-woogie endiablé, n’est d’aucune utilité narrative. Dans ce modeste morceau de bravoure se joue tout autre chose : à rebours des habitudes de représentation du pianiste au cinéma (l’acteur ou l’actrice mimant l’inspiration, la concentration), la mise en scène ici ne masque pas l’artifice (les mains du pianiste ne sont pas celles de l’acteur ; l’acteur ne fait pas semblant de jouer) mais l’utilise, par ce montage qui alterne plans des mains incroyablement agiles et plans du visage du personnage qui semble s’être réfugié en lui-même, comme absent à son propre jeu, incapable de se réjouir de sa propre dextérité. C’est cette tristesse du pianiste que Truffaut et Aznavour déclineront dans Tirez sur le pianiste.
Vous pouvez aussi voir ceci.
Françoise Lombardo – agent d’accueil.
ITINÉRAIRE D’UN ENFANT GÂTÉ – Claude Lelouch
Loan Charles – responsable du bar.
LITTLE BIG MAN – Arthur Penn
Je l’ai vu à la télévision, cela devait être en 1983 un mardi soir car il passait souvent des westerns à l’émission « Mardi cinéma » ou « La dernière séance ». Pour une fois les indiens n’étaient pas représentés comme des sauvages et c’est une grande fresque sur la conquête de l’Ouest Américain et sur la réflexion d’être partagé entre deux cultures. Ce film passe rarement à la télé et encore moins au cinéma. Pour l’époque c’était rare des films de 2h30.
Martin Bidou – programmateur.
LA RÈGLE DU JEU – Jean Renoir
C’est le film que j’ai le plus vu (je dirais 8 fois), et j’ai été subjugué par l’utilisation par Renoir de la profondeur de champs. A tel point qu’il m’arrive encore de découvrir des choses, idées de mise en scène ou bien aussi à propos des personnages secondaires auxquels on ne fait pas attention au début. J’en apprécie tous les personnages, à commencer par Octave bien sûr interprété par Renoir mais aussi Dalio qui interprète le rôle du marquis, ou encore Carette le braconnier pris en amitié par le marquis…. C’est d’abord une farce où les intrigues entraînent les maîtres, les domestiques et les invités dans des situations qui dépassent leur condition sociale; ainsi les convenances sont bousculées et la farce vire au drame. Le film devient comédie humaine ou chassés croisés amoureux, crises sentimentales, bouffonneries bousculent la règle du jeu instaurée par les rapports de classe. L’hypocrisie des conventions sociales explose alors et la tragédie n’est pas loin… La satire sociale est permanente. Renoir parlait de son film comme d’un « Drame gai » ou d’une « fantaisie dramatique ». Il a su saisir son époque, celle de 1939 veille de la 2nde guerre mondiale et l’insouciance générale avant le dénouement. La bande annonce – très amusante à revoir aujourd’hui – se termine par un carton d’accroche qui n’a pas suffit à protéger le film de la furie des critiques de l’époque: « UN FILM PAS COMME LES AUTRES ». C’est un film pas comme les autres et Renoir était probablement trop en avance sur son temps, tant du point du vue du sujet, de la narration, de la mise en scène. Il reste mon film de chevet.. que peux voir et revoir avec un plaisir constant.
Olivier Pasquier – directeur financier
RETOUR VERS LE FUTUR – Robert Zemeckis
Pourquoi ce film ? Parce que c’est le premier film que j’allais voir sans mes parents avec mon argent de poche et à partir de ce moment là j’allais une fois par mois au ciné avec l’argent que mes parents me donnaient.
C’était le premier mercredi de la sortie du film le 30/10/1985 à la séance de 14h au Gaumont Variétés à Angers (cinéma qui n’existe plus depuis) et en VF forcément….
Stéphanie Hanna – assistante de direction
L’HOMME QUI TUA LIBERTY VALANCE – John Ford
J’avais environ 20 ans, c’était au cinéma Utopia de Bordeaux et c’était encore du 35mm. En sortant, je dis à mon ami : il est incroyable cet acteur qui joue Tom Doniphon. Il me regarde de travers, mais aussi, il sourit. C’était la première fois que je voyais un film avec John Wayne. C’était aussi mon premier John Ford. J’ai dû le voir 5 fois ; la dernière, c’était il y a 1 semaine.
Victoire Bech – serveuse au bar du Louxor
LE PONT DES ARTS – Eugène Green
(minutage 1h17mn30s à 1h22mn25s ).