CHAHINE, ENCORE ET TOUJOURS avec MARIANNE KHOURY

Aux abords du Palais des Festivals se dresse le Village international. Une succession de tentes blanches longent la Croisette côté mer où l’on passe, en quelques pas, de Hongrie en Jordanie. Le temps du Festival, la planète cinéma dessine les contours improbables d’une région en bord de mer où l’on découvre, contrôle à l’entrée et libre circulation à l’intérieur des frontières, le monde du cinéma en marchant. Tête de pont du Village, le pavillon des Cinémas du monde de l’Institut français accueille chaque jour conférences de presse, débats, cocktails, rendez-vous professionnels et réunions conviviales où l’on peut rencontrer nombre de cinéastes, producteurs, diplomates, journalistes francophones venus du monde entier.

La réalisatrice et productrice égyptienne Marianne Khoury, venue présenter à Cannes son dernier film Zelal, un documentaire sur la folie, nous retrouve sur la terrasse du pavillon, avec vue sur la Méditerranée, avant de participer à un débat sur le « Printemps arabe ».

Nièce de Youssef Chahine, elle projette de créer une fondation du nom du réalisateur afin d’engager la restauration de documents d’archives et de permettre au plus grand nombre d’accéder au travail du grand cinéaste égyptien.

« Le Louxor est un superbe projet, c’est absolument essentiel de réintroduire
du cinéma dans la ville, c’est tout ce dont Youssef Chahine aurait rêvé. »

Marianne Khoury sur la terrasse du pavillon des Cinémas du monde, Festival de Cannes 2011

Pourriez-vous vous présenter…

Je suis réalisatrice, productrice et cogérante de la société MISR International Films fondée par Youssef Chahine en 1972. Cette société de production a été créée pour produire les films de Youssef Chahine ensuite nous avons produit d’autres réalisateurs et accompagné des premiers et deuxièmes films. D’ailleurs, notre société lance actuellement un appel à projets destiné aux jeunes réalisateurs, Chahine s’intéressait beaucoup au jeune cinéma.

Vous disposez d’un fond d’archives sur le travail de Youssef Chahine, aurons-nous un jour la chance d’accéder au travail du cinéaste ?

Youssef Chahine a laissé beaucoup de choses. À part les films, nous disposons d’une somme importante d’archives non-films. Nous sommes actuellement en train de créer une fondation Youssef Chahine, en lieu et place de son atelier. Dans un premier temps, nous allons investir son espace de travail, nous verrons ensuite s’il sera utile de trouver un endroit plus spacieux. Outre le travail de lancement de la Fondation et de restauration, nous réfléchissons à l’organisation d’expositions … Il y a notamment au sein de ces archives des documents très intéressants, je pense notamment aux découpages de ses films. Youssef Chahine avait un langage cinématographique très particulier. Tout ce qu’il a laissé était très organisé. Il y a au moins six ou sept films pour lesquels nous disposons du découpage total accompagné de ses notes personnelles. Ça n’a jamais été vu. Ce sont des documents uniques d’une richesse importante. Je suis actuellement à la recherche d’un institut afin de réaliser une étude comparative entre le scénario, le découpage et le film. Je pense que cela mériterait que l’on effectue une étude approfondie, et pas seulement à partir des images mais aussi avec ces découpages. Pour cela il faut que ce soit un réalisateur, quelqu’un qui s’intéresse à la recherche afin révéler ce véritable travail de fond sur l’articulation de son travail. Nous avons des contacts, les choses sont en cours. Il faut savoir que ses découpages comportaient les trois langues, le français, l’arabe et l’anglais. En outre, un travail de restauration de certains documents sera nécessaire. Nous avançons.

Ce serait formidable de pouvoir partager toutes ces archives avec le public, à Paris et ailleurs. Chahine avait un réel attachement pour cette ville. Nous réfléchissons à l’organisation d’une exposition itinérante, d’ailleurs, pourquoi ne pas l’organiser à Paris… l’année de l’ouverture du Louxor en 2013 ?!

Youssef Chahine entretenait une relation particulière avec la France et Paris…

Les liens avec la France sont anciens. Dès 1984, il coproduit un film avec la France intitulé Adieu Bonaparte c’est d’ailleurs à cette époque que j’ai commencé à travailler avec lui. Ce film, après une rencontre avec le ministre de la culture de l’époque, Jack Lang, a permis la signature d’un protocole entre l’Egypte et la France. C’est dans le cadre de cet accord nous avons réalisé Adieu Bonaparte. Il y avait un véritable partenariat avec les équipes françaises en Egypte et égyptiennes en France notamment pour la post-production du film.

Youssef Chahine avait un attachement particulier pour Paris et la France, d’abord sa femme est française d’Alexandrie. Il n’a jamais habité Paris, mais il y allait régulièrement et réalisait toutes ses grosses productions avec la France. Tous les films produits après Adieu Bonaparte l’ont été avec des producteurs français, comme Humbert Balsan.

La salle principale du Louxor-Palais du cinéma portera le nom de Youssef Chahine..

Nous sommes très honorés de cette décision d’autant qu’il avait un attachement particulier pour les salles de cinéma. Chahine habitait là où sont nos bureaux au 35, rue Champollion au Caire, à l’origine c’était un cinéma. Dans l’une des chambres se trouvait une salle de projection, avec écran, cabine et des murs capitonnés ! La première chose qu’il faisait lorsqu’il allait dans un pays, c’était d’investir une salle de cinéma. Il y réalisait les tests techniques du film et son premier rapport avec la salle de cinéma, c’était avec le projectionniste qu’il l’avait, c’était un moment très important pour lui.

Et le public… ?

Chahine avait un rapport très particulier avec le public, les gens connaissaient bien son visage sans pour autant connaître ses films. Lorsqu’il marchait dans la rue en Egypte, on le reconnaissait et on l’interpellait.

Souvent pour les premières projections des films, il invitait des groupes d’amis chez lui, car ça lui était difficile compte tenu de sa notoriété de venir discrètement dans les salles, et il les observait afin de saisir leurs réactions, certains bougeaient des pieds, d’autres riaient etc. pour lui la projection était un moment unique, voire sacré.

Du cinéma dans la ville, dans un quartier populaire, on en revient au Louxor..

C’est un superbe projet, c’est absolument essentiel de réintroduire du cinéma dans la ville, c’est tout ce dont Chahine aurait rêvé. Cette salle, le contact avec le public, les films, ce quartier cosmopolite de Barbès, toutes ces cultures qui se mêlent, c’est extraordinaire. Dans le quartier, Dalida n’habitait pas très loin, c’était une grande amie de Chahine, ils devaient dîner ensemble le soir de sa disparition dans un restaurant à Montmartre… Elle n’est pas venue au rendez-vous…

ZELAL (2010) de Marianne Khoury et Mustapha Hasnaoui

D’où vient votre passion du cinéma ?

J’ai longtemps travaillé avec Youssef Chahine, c’est lui qui m’a communiqué cette passion pour le cinéma et ce métier. Je suis économiste de formation. Mon père était producteur et il ne souhaitait pas que je travaille dans le cinéma. Il avait connu des moments difficiles lorsqu’il a été nationalisé à l’époque de Nasser, cette expérience l’avait marqué, il voulait, tant que faire se peut, nous éviter cela dans la famille. Mais ça a été plus fort ! Aujourd’hui nous sommes deux sur trois dans la famille à travailler dans le cinéma. Pour nous, la salle de cinéma est un lieu très important. C’est un lieu de partage permettant d’échanger et de faire connaître des films. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons créé un festival au Caire le « Panorama du film européen » nous en sommes à la quatrième édition cette année. On a créé ce concept de zéro, au début nous n’avions que deux spectateurs… À la dernière édition, nous en avons accueilli 10 000, c’est extraordinaire. C’est formidable de pouvoir créer ce rapport avec le public, qu’il s’agisse d’un public cinéphile ou d’étudiants, de jeunes ou de vieux, ce qu’il y a de plus fort dans la projection c’est ce rapport de transmission au public.

La transmission c’est aussi la question de l’éducation à l’image, vous avez des projets en direction des jeunes publics …

Tout à fait, nous avons des séances pour les plus jeune, cette année nous allons accentuer la présence du jeune public, en France un gros travail pédagogique a été effectué sur quelques films, nous avons donc le projet de travailler sur certains films avec un pédagogue français et un égyptien.

Vous êtes venue à Cannes pour présenter un film ?

Mon film Zelal passe au « Marché », c’est un documentaire co-réalisé avec Mustafa Hasnaoui sur la santé mentale en Egypte, nous l’avons tourné dans deux hôpitaux psychiatriques.

Débat sur le "printemps arabe", pavillon des Cinémas du monde

Le printemps arabe représente un formidable espoir, quel impact aura-t-il selon vous sur le cinéma… ?

Ça a toujours été possible, mais difficile de faire des films en Egypte. Le plus bel exemple c’est Chahine, il a résisté pendant 60 ans à tous les régimes possibles et imaginables, c’était sa force la résistance. Tout ce qui se passe aujourd’hui en Egypte est particulièrement inspirant, c’est en train de se libérer bien que ce ne soit pas facile…

L’Egypte a un grand cinéma, géré par les lois du marché et le Star system. J’ai l’impression que tout est en train de se décomposer et de se recomposer, de nouvelles formes de production vont naître. Le public est devenu actif voire acteur. On va sortir des fictions, des grands films nationaux, des grandes comédies burlesques, les gens ont envie de voir autre chose, ils ont une conscience politique aiguë qui s’inscrit désormais dans l’action. C’est pourquoi je pense que la forme documentaire va prendre plus d’ampleur. Les jeunes ont un rapport étroit à l’image, on l’a vu avec internet et le rôle qu’ont joué les réseaux sociaux.

La manière dont c’est utilisé s’inscrit dans une relation très étroite à l’image. Jusqu’alors beaucoup avaient peur des images. D’autant qu’en Egypte le cinéma est géré par le Star system, mais c’est en train de changer car les foules ont exprimé leur rejet à l’égard de ceux qui n’ont pas exprimé rapidement et clairement leur position. Tout ceci va permettre l’émergence d’un nouveau paysage cinématographique et audiovisuel, la création de médias alternatifs etc. Nous, cinéastes, producteurs etc. aurons un rôle à jouer dans le processus de réconciliation et dans les élections.

Liens : Misr International Films - Panorama du film européen

Yousry Nasrallah

Le + : Quelques instants après avoir quitté Marianne Khoury, nous rencontrons le cinéaste Yousry Nasrallah, nous échangeons quelques mots et lui proposons de nous retrouver plus tard pour un entretien. Malheureusement les agenda cannois ne sont pas toujours faciles à synchroniser, nous nous retrouverons donc après le Festival de Cannes. Il nous parle du Louxor dont il se souvient :

« Je me souviens bien de cette salle de cinéma et je peux même vous dire que La Mémoire de Youssef Chahine fut l’un des tout derniers films projeté dans cette salle. Reparlons-en, avec plaisir »

Yousry Nasrallah est cinéaste, on lui doit notamment Vol d’été présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 1987 et dernièrement le très remarqué Les Femmes du Caire (2010), il participe au film collectif 18 jours présenté cette année au Festival de Cannes sur la révolution égyptienne. Il fut assistant de Youssef Chahine et le co-scénariste de Adieu Bonaparte (1984) et Alexandrie encore et toujours (1990).

Remerciements à Thomas Brégeon, Valérie Mouroux et Claire Viroulaud.

Laurent Laborie

Laurent Laborie est président de PARIS-LOUXOR.