Dans le cadre de la réflexion sur le devenir du Louxor, PARIS-LOUXOR a entrepris d’interroger celles et ceux qui font et pensent la culture dans la ville, et précisément dans les quartiers populaires. Premier entretien avec Laurent Dréano qui évoque pour nous l’expérience des maisons Folie, ces lieux culturels implantés dans des quartiers populaires qui ont notamment contribué au succès de Lille 2004, capitale européenne de la culture.
Laurent Dréano devant le Louxor
« Les Maisons folie, des lieux d’excellence à taille humaine »
Directeur de la culture de la Ville de Lille, et coordinateur de Lille 2004, Laurent Dréano a eu un rôle clé dans la création et le lancement des maisons Folies (mF) dans la métropole lilloise. Il nous expose comment ces friches industrielles réhabilitées dans le cadre de Lille 2004, devenues des lieux de production, d’expositions, de salles de concerts, sont depuis un maillage important dans la vie culturelle du Nord.
Les maisons Folie (mF) ont été créées en 2004 quand Lille a été désignée Capitale européenne de la culture. Pourquoi ce choix ?
Quand on a imaginé Lille 2004, l’une des questions était de savoir ce que les autres villes européennes avaient inventé quand elles ont été désignées Capitale européenne de la culture. Il n’était pas question de construire de temples de la culture à Lille, cela ne se posait pas en ces termes. Il y avait déjà de grandes institutions comme l’Opéra de Lille.
L’enjeu était plutôt de mailler le territoire avec des lieux qui augmenteraient la surface de relation et de contact entre les habitants et les artistes. Comment faire en sorte que les habitants puissent s’ouvrir sur le monde au contact de la création artistique la plus innovante. Il ne s’agissait pas de faire des maisons de la culture pour participer à des stages de poterie ou de danse orientale. Mais plutôt des endroits où tout le monde travaille.
Concrètement, à quoi ça rassemble une maison Folie ?
On a imaginé des lieux d’activité, des outils très simples. Avec un cahier des charges comprenant des salles pour des spectacles, pas forcément très élaborées, des salles d’expositions qui sont des espaces bruts, très sobres. Les habitants et les artistes peuvent venir expérimenter et avancer dans une étape de travail. Tout le monde se retrouve en contact et cela ne vient pas d’en haut.
Pour avoir choisi les quartiers populaires de Moulins et de Wazemmes pour construire des mF ?
En 2004, ces quartiers de Moulins et de Wazemmes étaient en pleine évolution. Beaucoup d’habitants avaient envie de culture. Nous voulions développer des lieux dans ces quartiers où il y avait assez peu d’équipements. C’était l’occasion de rentrer en contact avec la population.
On l’a fait dans des lieux qui avaient une valeur patrimoniale. A Wazemmes, c’était une ancienne filature de lin. Un lieu très attachant pour le quartier. Cette usine représentait beaucoup de choses pour les habitants. L’ancienne brasserie malterie de Moulins, qui avait été un peu oubliée, était aussi un lieu important.
On a évité, à Wazemmes, que l’ancienne usine qui abrite maintenant la mF, soit démolie pour y installer un supermarché. Ce qui aurait certes augmenté le nombre de surfaces commerciales en ville mais qui n’aurait certainement pas rassemblé les artistes et les habitants.
Quel est le concept d’une maison Folie ?
D’abord la culture n’y est pas hiérarchisée. Notre objectif est de marier la culture cultivée, selon le mot d’Edgar Morin, et la culture populaire. Les mF sont des lieux de fermentation et d’échange où les gens se frottent. Mais surtout, les mF ne sont pas des ovnis tombés du ciel, il faut que le projet se fasse avec des habitants du quartier.
A Moulins, des dames du quartier préparent des tartes. Elles sont confectionnées au centre social et vendues le dimanche à la mF. On y accueille des manifestations que l’on voit rarement dans des lieux culturels comme l’élection de Miss Wazemmes organisée avec les commerçants. Il est aussi indispensable d’être en relation directe avec les associations locales et les structures culturelles. Comme Attacafa qui a créé la Fête de la soupe ou Latitude Contemporaine qui organise un festival assez pointu, comme les musiciens de la Compagnie du Tire Laine ou le Prato qui rêve toujours de poser un chapiteau dans la cour. Et au milieu les pommes de terre d’Agnès Varda ! Et tout cela doit cohabiter.
Enfin les mF sont des lieux ouverts. Celle de Wazemmes est un véritable carrefour, elle est traversée par deux rues. A Moulins, il y a deux cours à l’intérieur de l’édifice. Rien à voir avec les temples de la culture qui peuvent être impressionnants où le public hésite à franchir la porte.
Comment avez-vous fait pour prendre en compte les attentes des habitants du quartier ?
Avant même la création des mF, nous avons organisé des ateliers de proximité et des réunions publiques.
Lors de la première réunion avec l’architecte et les habitants du quartier, je me souviens, dans un gymnase bondé, la première question a été celle d’un épicier maghrébin qui voulait savoir si la Mairie allait l’entretenir pour qu’elle soit propre et belle. Il était normal que la Ville mette les moyens. Cette mF devait devenir un motif de fierté pour le quartier. A Wazemmes, nous avons finalement accepté l’idée du Hammam, un projet qui n’était pas forcément validé au départ.
Parallèlement, un autre groupe de travail a été créé pour savoir comment une mF allait fonctionner. Le directeur d’une mF (Caroline Perret à Moulins, Olivier Sergent à Wazemmes) est un maître de maison. Il doit faire en sorte que l’endroit le lieu soit accueillant, un lieu où l’on n’est pas tout le temps obnubilé par la ligne programmatique. L’important est qu’il y ait effervescence et excellence, qu’elles soient artistiques et conviviales.
Comment avez-vous adapté les deux mF en fonction des deux quartiers de Moulins et de Wazemmes ?
Les bâtiments sont très différents. Ils imposent naturellement des particularités. A Moulins, l’équipe travaille beaucoup sur les marionnettes, le théâtre de rue. Le lieu se prête bien aux petites expositions interactives. Wazemmes est un lieu plus grand avec une salle de spectacle où l’on se concentre sur de grandes expositions et de grands festivals. La programmation tout au long de l’année s’articule autour. Mais il y a des points communs, les deux mF travaillent sur les cultures urbaines.
Donnez-nous des exemples de réussite des mF ?
A Wazemmes, des artistes de la musique savante du Maghreb, populaire là bas, sont venus se produire. Des artistes qui ne sont pas connus en France. Nous craignions de n’avoir que le gotha des cultures du monde. Ce fut le contraire. Nous avons vendu les billets par l’intermédiaire des boucheries hallal. Des centaines d’habitants du quartier sont venues et ont découvert pour la première fois la mF de Wazemmes. Autre exemple : le quartier est connu pour son marché tous les dimanches matin. Les expositions sont ouvertes, les gens viennent voir les œuvres avec leurs cabas avant de repartir. Nous sommes dans la proximité.
A Moulins, il y a la fête des voisins, chacun apporte des viandes pour les faire cuire sur place. La mF s’occupe du barbecue. Les enfants s’y sentent bien. C’est important. Les familles demandent des lieux sécurisés où les enfants peuvent jouer. Les parents peuvent boire un verre ou voir une exposition. C’est d’ailleurs la force du concept de la gare Saint Sauveur monté avec lille3000 et les associations, un nouveau lieu de culture à Lille.
Estimez-vous que le pari des mF est gagné ?
Le pari n’est jamais gagné ! Ce n’est jamais quelque chose d’acquis. Il faut y travailler sans cesse, ne jamais relâcher. C’est la difficulté et l’intérêt de nos métiers. Nous sommes dans une logique cumulative. Comme en vélo, il faut s’inscrire dans un principe d’accélération. Si on relâche, on finit par s’arrêter. Il faut donc toujours aller de l’avant tout en s’assurant que tout le monde est présent dans le peloton.
Quels types de difficultés avez-vous connu ?
A Wazemmes, nous avons connu une période de surchauffe. Des riverains très proches se plaignaient. Le carnaval, la fête de la soupe, Wazemmes l’accordéon, la braderie s’étaient enchaînés. Ils ont dit : « too much is too much ». On a donc calmé le jeu, nous avons été plus attentifs à certains détails, comme la sécurité et la propreté par exemple. L’équipe de la mF est en relation directe avec la police municipale et les personnes chargées du marché. Nous travaillons avec les commerçants en organisant des groupes de travail. Nous sommes ouverts, mais vigilants. Pour autant, nous surveillons. Mais on ne se sent pas fliqués.
Après plus de cinq ans d’existence, quel bilan d’étape faites-vous ?
Nous sommes assez contents. En 2003, on nous disait que les mF allaient assécher le quartier et la vie associative. Certains disaient qu’elles allaient devenir des dents creuses. C’est tout le contraire. On vient d’ailleurs d’ouvrir une nouvelle mF à Lommes, commune associée à Lille. On va bientôt agrandir Moulins. Ces lieux créent un véritable réseau : 11 fabriques culturelles dans la métropole lilloise, sans compter les mF belges à Mons et Kortrijk. Avec de petites équipes, légères. Nous ne sommes pas dans le syndrome des grosses structures où le poids des lieux et des équipes compte tellement qu’il n’y a plus de places pour les projets.
Dans ces mF, il n’y a rien de permanent, les projets vont et viennent. Les artistes, en résidence dans les mF rencontrent les gens du quartier, on en parle dans les cafés. Nous travaillons toujours dans la concertation avec les habitants et les élus concernés.
Quel public voulez-vous toucher ?
L’important est la diversité. On veut du brassage et de la convivialité. Une mF n’est pas un lieu replié sur lui-même. En 2010, près de 90 000 personnes sont venues à la mF de Wazemmes pour 200 projets différents.
Le concept des mF est-il exportable ?
Bien sûr ! C’est un concept qui peut s’appliquer partout même s’il faut toujours s’adapter aux caractéristiques d’un territoire. La mF n’implique pas un cahier des charges figé. Ce sont avant tout des lieux où les cultures doivent se mélanger, dans la diversité des formes. Cela marche bien ici dans le Nord car nous avons une culture associative et un esprit du vivre ensemble qui sont forts.
D’ailleurs Barcelone s’inspire de notre expérience. Cette grande métropole européenne vient de lancer une programmation de construction de mF dans tous les quartiers. Nous avons d’ailleurs beaucoup d’échanges avec la municipalité de Barcelone qui s’inscrit comme Lille dans l’agenda 21 de la culture, quatrième pilier du développement durable, porté ici par Catherine Cullen, notre élue à la Culture mais ceci est une autre histoire.
Quels conseils donneriez-vous aux promoteurs du projet PARIS-LOUXOR ?
Il faut être ouvert sur le quartier sans démagogie. Trouver des points d’entrée possibles pour donner envie aux gens d’y venir pour découvrir des choses. C’est le contraire d’un centre commercial où le jeunes viennent désœuvrés parce qu’ils n’ont rien d’autres à faire. Pour cela, il est nécessaire d’avoir des relais : les associations culturelles, les artistes, les commerçants ou les centres sociaux. Avoir une programmation en phase avec le quartier et montrer que le lieu ne sera jamais privatisé au profit d’une communauté ou d’un seul type de public.
Le système des ambassadeurs marche bien. Des personnalités du quartier informées avant les autres. Ce peut être le boulanger du coin qui présente les événements à venir.
Les mF de Lille sont financées par la mairie de Lille, que représente l’effort de la collectivité ?
A Lille, la culture est un vrai choix politique. Nous avons la chance d’avoir un Maire, Martine Aubry, qui croit profondément que la culture est un moteur de lien entre les hommes, de développement urbain, de mieux-être dans la ville. Il faut donner au plus de gens possible et à ceux qui n’y ont pas facilement accès, la capacité d’entrer en relation avec la création artistique.
Cela ne demande pas pour autant des moyens considérables. La Ville de Lille consacre 14% de son budget à la culture. Nous sommes dans la moyenne des grandes villes françaises. Il ne s’agit pas d’opposer les grandes structures culturelles et le travail dans les quartiers. Les deux démarches se nourrissent. Il me semble important d’être au plus proche de la population, être dans le qualitatif et le moindre détail. C’est un combat permanent. A Lille, nous avons parié sur un réseau de structures dans les quartiers, des points d’accroche à taille humaine, des lieux d’excellence, ce qui n’est pas contradictoire avec un projet populaire.
• Le site internet de la Maison Folie Moulins
• Le site internet de la Maison Folie Wazemmes
—
Afficher Les Maisons Folie sur une carte plus grande
PARIS-LOUXOR tient à rendre hommage à la mémoire de Jean-Baptiste -JB- Haquette , premier directeur de la maison Folie de Moulins aujourd’hui disparu. LL
Pour continuer le débat…Publication : « QuARTiers. Les projets participatifs dans la [politique de la] ville » coordonné par Artfactories Autresparts, sont partenaires de cet ouvrage avec le Collectif Couac, HorsLesMurs et Actes-If.
Les processus artistiques participatifs ont le vent en poupe, notamment dans les quartiers relevant de la politique de la ville. Sur quoi repose cet engouement ? Comment ces projets prennent-ils part à la transformation des villes ? Quelles manières de vivre ensemble mettent-ils en lumière et, parfois, renouvellent-ils ?
A télécharger gratuitement sur le site d’Artfactories/Autresparts. http://www.artfactories.net/Publication-QuARTiers-Les-projets.html?var_mode=calcul
I love those Maisons Folie, are they follies or just crazy places ? I guess Lille has become the place to be ! Everybody there seems to be so cute. Congratulation to the Paris Louxor team. I can’t wait for it’s opening.
Capt C.