CANNES 2011 : LES APNÉES CANNOISES

Salle du Soixantième - LL PARIS-LOUXOR

A Cannes, les festivaliers mesurent, sans doute plus qu’ailleurs, ce que signifie vivre une expérience collective de cinéma. Cet aspect collectif ne s’évalue pas uniquement dans les spécificités du dispositif cannois, qui met en présence tous les acteurs du cinéma, depuis les stars jusqu’aux spectateurs en passant par les réalisateurs, techniciens, producteurs, critiques, etc. Etre un festivalier parmi d’autres ne se mesure pas non plus uniquement dans les proximités ou les distances que l’on entretient avec le monde du cinéma, ou dans les sociabilités que l’on est susceptible de déployer avec ceux qui travaillent en amont ou en aval du film. Il s’agit également, pour ne pas dire surtout, de faire l’expérience, pendant la séance, de ce qu’est être un spectateur parmi d’autres, visionnant un film dont on ne sait pas grand chose.

Etre spectateur à Cannes, c’est d’abord accéder (ou espérer le faire) à une salle et à un écran aux dimensions à couper le souffle. La série de rites et de filtres ayant précédé l’accès à cette salle entretient déjà la contradiction entre la masse et l’individu (longues files d’attentes mais contrôle individualisé des accès, montée des marches donnant le sentiment d’être un privilégié au sein d’un groupe de privilégiés, accueil et placement personnalisés). Mais le fait de prendre place au milieu de si nombreux spectateurs donne un peu le tournis : la bouffée de cinéma que l’on s’apprête à prendre ne sera-t-elle pas polluée par la présence d’autant de participants ? Parviendra-t-on à faire abstraction des autres et de leurs réactions parfois bruyantes à ce qui se passe à l’écran pour profiter pleinement de la projection ?

Pourtant, lorsque le film débute et que le silence se fait dans la salle, il se produit parfois à Cannes un de ces rares moments permettant de mieux saisir, aux côtés des autres, ce qui fait la force du cinéma : pouvoir vivre de façon collective des émotions intimes. Il arrive en effet que l’on entende les autres spectateurs retenir leur souffle. Puis expirer longuement. De peur ou de soulagement. De tristesse ou de colère. Entendre ces apnées cannoises, seul au milieu de tant de festivaliers, traduit parfaitement ce qui fait l’essence d’un public. En entendant les autres, on finit par s’entendre soi, et à prendre conscience de ce qui, en soi, réagit à ce qui se passe à l’écran. De la même façon que l’on se rend compte du caractère automatique de notre respiration lorsque celle-ci est perturbée ou entravée, l’on prend, à Cannes, conscience du caractère profondément social de la condition de spectateur en s’entendant vivre le film au même rythme que les autres. Et quand la lumière se rallume et que l’on quitte la salle dans la cohue, il arrive que le cœur batte un peu plus vite, non à cause du film seul, mais parce que l’on a sentiment d’avoir vécu une expérience collective.

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Sous la direction d’Emmanuel Ethis, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
(Centre Norbert Elias, équipe Culture et Communication)

Olivier Zerbib

Olivier Zerbib est doctorant à l’Université d’Avignon sous la direction d’Emmanuel Ethis - Centre Norbert Elias (UMR 8562) -Equipe Culture et Communication.