À l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine (ici) (17 et 18 septembre), le Musée Gaumont (ici) célèbre la mémoire du Gaumont Palace. Cette mythique salle de cinéma parisienne, sœur ainée du Louxor, aurait fêté ses cent ans cette année. L’occasion pour le Musée -dont l’accès est habituellement réservé aux universitaires et professionnels du cinéma – de dévoiler une partie de ses collections au public.
Le Gaumont Palace
C’est en lieu et place de l’actuel centre commercial “les arcades de Montmartre” (1, rue Caulaincourt Paris 18e) que se dressait il y a 100 ans le Gaumont Palace. Hôtel à nom d’oiseau et palais du bricolage, c’est un bien triste ensemble qui le remplace aujourd’hui au pied du cimetière de Montmartre.
Racheté en 1910 par Léon Gaumont, le Gaumont Palace est à l’origine un hippodrome construit pour l’exposition universelle de 1900, dont la structure fut réalisée par Gustave Eiffel.
A l’ouverture, le 30 septembre 1911, la façade du cinéma, de style « beaux-arts », est encore celle de l’hippodrome. Sa capacité est de 1 600 places debout et 3 400 assises. L’écran est relativement petit étant donné les dimensions de la salle : 8 mètres de base pour un espace de 40 mètres de large sur 60 de profondeur et 24 de haut. Un orchestre de 50 musiciens peut prendre place dans la fosse (jusqu’à 100 selon les représentations). Le lieu emploie deux cents personnes et comprend de nombreux buffets et salles de réception. Une seule séance quotidienne est proposée, et le prix de la place est indexé sur la qualité de la place : entre 0,50 Franc sur la galerie et 1 Franc sur le promenoir, jusqu’à 18 Francs la loge d’orchestre pour quatre personnes.
Vue intérieure du Gaumont Palace en 1911 © Musée Gaumont
Le Gaumont Palace rouvre ses portes après d’énormes travaux en 1931, avec une toute nouvelle et imposante façade art déco, et offre à ses spectateurs le confort du plus grand écran du monde : un cadre de scène de 25 mètres sur 13 – 312 m² – et un écran géant de 12 sur 11,85 mètres ! Il s’agit alors du plus grand écran d’Europe. L’orchestre a laissé place à un gigantesque orgue Christie et le cinéma peut accueillir maintenant un maximum de 6 000 personnes, en proposant l’air conditionné, une première également. L’interdiction de fumer était appliquée dans ce cinéma, contrairement au Grand Rex qui remédiait à l’inconfort de la fumée de cigarette grâce à son système d’aspiration par les sièges. A ce propos, pour se donner une idée des dimensions du Gaumont Palace, on peut s’imaginer le Rex multiplié par deux. Le cinéma comprendra par la suite un bar et un dancing.
Au fil des années, le rythme des séances passe à deux par jour, mais cela ne suffit pas pour attirer les spectateurs. On projette alors des actualités, des documentaires, et on organise même des spectacles équestres, les fameuses « Cinéma folies » d’Alain Bensimon (1969). Mais il est difficile de rester compétitif face à des salles aux dimensions plus modestes dans lesquelles le nouveau cinéma intimiste initié par la Nouvelle Vague s’épanouit davantage… La société Gaumont vend son Palace en 1972 à des promoteurs qui le démolissent un an plus tard pour y construire un complexe hôtelier, un parking et une galerie commerciale, et ainsi inscrire la place de Clichy dans la… modernité.
Dans la précipitation, le mobilier, les pièces d’architecture et les archives de plus de six décennies finissent à la benne à ordures. Le Musée Gaumont est d’ailleurs né de la mort du Gaumont Palace, de ce qui a pu être récupéré dans ces bennes par les inconditionnels de ce cinéma d’exception.
Le musée Gaumont
Les visiteurs qui auront réservé leurs places au préalable seront invités à remonter le temps pour (re)découvrir le Gaumont Palace. Ces visites exceptionnelles sont un événement pour les amoureux du cinéma. En effet, le Musée ne dispose pas de locaux d’exposition mais présente ses collections sur un site internet en ligne depuis 2006 (http://www.gaumont-le-musee.fr/), véritable musée virtuel qui permet de découvrir les archives et objets en lien avec l’histoire de la célèbre firme à la marguerite.
La visite menée par l’équipe du Musée se déroule dans leurs élégants bureaux, situés au troisième sous-sol du siège social de Gaumont. Ici, de nombreux accessoires et costumes issus des films (la robe de Faye Dunaway dans Jeanne d’Arc de Luc Besson, le casque et les solerets de Jean Reno dans Les Visiteurs de Jean-Marie Poiré) côtoient caméras et autres appareils de projection. C’est ici qu’est présentée la maquette du Gaumont Palace réalisée entre 1979 et 1981 par un amoureux du géant de la place Clichy, Alain Froger. Avec minutie et précision, il a reconstitué le Gaumont Palace dans son apparence très moderne de 1954 et a poussé le détail jusqu’à représenter l’intérieur : le hall mais aussi la salle aux deux balcons et son plafond ondulé (pour une meilleure répartition du son). L’œuvre de Monsieur Froger, unique en son genre, permet de se rendre compte de la taille imposante de l’édifice.
Divers documents tels que plans, photographies de la salle ou de la façade à leurs différentes époques, programmes et invitations, articles et même une chaise de loge – l’un des rares vestiges restant du Gaumont Palace, enrichissent la visite, éclairant l’histoire de la salle de 1911 jusqu’à sa destruction en 1972.
Seul l’imposant orgue du Gaumont Palace manque à l’appel, acquis en 1974 par la ville de Nogent-sur-Marne et conservé actuellement au Pavillon Baltard.
A noter que le musée présente aussi une belle collection d’affiches datant des débuts du cinéma jusqu’à nos jours. L’occasion pour la conservatrice, Corine Faugeron, de nous conter avec passion l’évolution de la conception de l’affiche chez Gaumont.
Les premières productions Gaumont
La visite se termine par une projection de films. Un programme selon le modèle des premiers programmes du Gaumont Palace est donné à chaque visiteur. On y lit : « La Direction se réserve toute modification au présent ». Car, plus que le passé, il s’agit bien de ressusciter l’aura incroyable de Gaumont à travers les œuvres que la filiale a produites à ses débuts ! Il faut tout d’abord rappeler que le Gaumont Palace a été créé pour montrer les productions des studios Gaumont.
Des images d’actualités permettent de comprendre un peu mieux le rôle social du cinéma : pour quelques inaugurations spéciales, le cinéma se fait lieu où il faut être vu, à d’autres moments, il semble être un lieu de rencontre et de convivialité, où les enfants du quartier jouent dans le grand hall, avant de rentrer dans la salle.
La projection continue avec un phonoscène – synchronisation d’images et de sons – qui s’intitule Questions Indiscrètes (1908), réalisé par Alice Guy, dans lequel Félix Mayol déclame son amour à « Rosine, sa belle voisine », le rabrouant… « Si vous l’avez si chaud qu’ça, saperlipopette, vous n’avez qu’à le mettre dans l’eau, ça le rafraichira », réplique-t-elle. Ce petit film, projeté avant les séances, est considéré comme l’ancêtre du clip, Félix Mayol y déclamant face caméra sa chanson. Farce ou scène d’action, le catalogue Gaumont explore alors plusieurs genres. Onésime débute au théâtre (1913), tournée sur les toits du Gaumont Palace (dans la fiction, il s’agit de ceux de l’Opéra de Paris), oscille entre trucages à la Méliès et film d’action.
Suit Fanstasmagorie d’Emile Cohl, qui fut réalisé pour la société Gaumont, et qui fut récemment restauré par cette dernière. Il est connu pour être le premier dessin animé (des dessins images par images, ce qui est à l’époque sensiblement différent des tours de magie de Méliès). Les traits du dessinateur se transforment en bonhomme, qui tombe dans le siège d’une salle de spectacle : le début d’une longue promenade surréaliste… qui est certainement la métaphore du voyage permise par la salle de cinéma.
Ce voyage est une belle occasion de célébrer le thème des journées du patrimoine (« le voyage du patrimoine »), et de partir découvrir ce qui reste d’un lieu, en dehors de son existence géographique. Si le lieu n’est plus, le mythe du Gaumont Palace demeure à travers les souvenirs et les images imprégnés dans l’univers collectif.
Visite du musée Gaumont dans le cadre des journées du patrimoine
Inscription obligatoire par mail uniquement à musee@gaumont.fr ou par tél au 01 46 43 21 65
Informations pratiques : samedi 17 et dimanche 18 septembre, 6 visites guidées par jour 11h, 12h, 14h, 15h, 16h, 17h suivies d’une projection de 30 minutes environ sur le Gaumont Palace et son histoire.
Entrée au 13 rue du Midi
92 200 Neuilly sur seine
Le + : Le Gaumont Palace a été inauguré le 11 octobre 1911 avec la projection de La tare de Louis Feuillade et d’un Onésime de Jean Durand.
Merci à Martine Offroy, Corine Faugeron et Dominique Racle.
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Merci Michel pour votre témoignage !
Enfant j’habitais Clichy, et le Gaumont était notre cinéma préféré. Le spectacle était total, et j’attendais avant le film l’entracte où Tommy Desserre l’organiste du lieu, sortait de la fosse propulsé par des vérins. De blanc vêtu, il était inondé de lumière alors que retentissait cet orgue magnifique. Adulte j’y suis retourné et en 1968 mon lien avec cette salle fut rompu après avoir vu 2001 Odyssée de l’espace.
C’était une autre époque, et nous avons eu de la chance de connaître le Gaumont palace!