MARCADET PALACE
110, rue Marcadet – Paris 18e
9 juillet 1920 – 1973, détruit en 1974.
2000 puis 1600 places
En partenariat avec le magazine Historia. Pour contribuer et témoigner : CINÉMAS DE PARIS
Construit par Paul Auscher pour le compte de la Société anonyme “Marcadet Cinéma Palace”, la salle de la rue Marcadet ouvre ses portes le 9 juillet 1920. L’architecte est connu notamment pour avoir réalisé, en 1904, l’emblématique magasin Félix Potin de la rue de Rennes* (futur magasin Tati), dans le style Art nouveau avec une structure en ciment armé ainsi que le Batignolles-Cinéma (1913). Le cinéma occupe une parcelle de la rue Marcadet dont la sortie de la salle donne sur le 67, rue du Mont-Cenis, où se trouvait l’ancienne chapelle de la Trinité (1579) érigée par le seigneur de Clignancourt, Jacques Liger, sur le chemin du pèlerinage de Saint-Denis. Ce fut également un poste de pompiers (1860), un débit de vin et un ancien cabaret dit de la Bergerie. On se plaît à dire qu’il est situé à l’emplacement de la bergerie de Gabrielle d’Estrées, favorite du roi Henri IV, faisant face à l’une des plus anciennes maisons de Montmartre qui fut notamment un moulin, dont il subsiste une tourelle, et la manufacture de porcelaine de Clignancourt (1771) placée sous la protection du duc de Provence, futur Louis XVIII.
Le Marcadet Palace peut accueillir jusqu’à 2000 spectateurs, à cette époque, le cinéma est la salle de tous les spectacles, jongleurs, chanteurs, magiciens, animent les entractes entre deux projections. Le Marcadet dispose d’un petit orgue Celesta Mustel et propose un programme musical complet avec un orchestre de quatorze musiciens. Comme nombre de salles de l’époque, son essor est lié à l’arrivée du parlant à la fin des années 1920.
Le Marcadet est un cinéma de quartier de première puis de seconde exclusivité, le 18e arrondissement compte plus de trente salles de cinéma et c’est le gigantesque Gaumont Palace (1911) de la place de Clichy, avec ses 3400 places (il atteindra les 6000 places après sa rénovation en 1931), qui fait alors l’objet de toutes les attentions. Dans les années 1930, la salle rejoint le circuit d’exploitation Aubert.
Dans le documentaire Le cinéma de maman, Simone Lancelot, qui a occupé différentes fonctions dans les cinémas de quartier, secrétaire, ouvreuse, exploitante**, évoque ses souvenirs devant la caméra de sa fille, Martine. En décembre 1940, Simone rejoint le Marcadet après avoir travaillé au Montcalm, un petit cinéma de la rue Ordener :
“Une ancienne ouvreuse du Montcalm qui était devenue mon amie me fait faire la connaissance de Monsieur Viguier, directeur du cinéma le Barbès. J’ai été embauchée comme secrétaire au Barbès Palace et l’on a pris en gérance le cinéma le Marcadet (…) Le Marcadet était une salle immense et merveilleuse (…) On passait le Comte de Monte-Cristo (NDLR. Un film de Robert Vernay, en deux époques sorti, sur les écrans en 1943), il y avait tellement de monde que nous avons été obligés de fermer les grilles, de laisser passer les gens, un par un, et ils ont cassé les grilles pour entrer… j’étais derrière les grilles ! Il y avait du monde tout du long de la rue Marcadet, c’était incroyable ! C’était la seule distraction à l’époque. C’est la période de la guerre et il y a un quota de films allemands imposé, et nous nous arrangions toujours pour en passer le moins possible, il faut dire que le contrôle était presque inexistant, et nous passions pratiquement que du film français”.
Durant l’Occupation, la production et l’exploitation des films relève du Comité d’organisation de l’industrie cinématographique (COIC), une instance de contrôle et de collaboration économique pilotée par le ministère de l’information du Régime de Vichy. Le COIC met en place des mesures d’ordre économique et technique, mais aussi l’application du décret du 6 juin 1942 interdisant aux Juifs (qui dès 1941, furent spoliés de leurs biens, dont nombre de salles de cinéma) d’exercer un emploi dans le domaine artistique. C’est la toile de fond du film de François Truffaut Le Dernier métro (1980) dans lequel un directeur de théâtre est obligé de se cacher pour poursuivre son activité.
Après-guerre, le neuropsychiatre, Boris Cyrulnik, fréquente la salle. Dans un « Abécédaire » publié par Le Parisien durant l’été 2019, il se rappelle de ses premières lectures au Marcadet, un livre sur la théorie de l’attachement, développée par le psychologue John Bowlby, approfondie par son confrère, Harry Harlow :
Je me revois, à 14 ans, au cinéma Marcadet, à l’entracte. J’avais un Que sais-je ? de Harlow que je dévorais. J’avais déjà le désir de comprendre l’esprit humain. La France a résisté longtemps à ce concept… Mais si un enfant sain n’est pas entouré d’affectivité et de culture, il devient gravement altéré.
A l’été 1958, la salle ferme ses portes pour rénovation et adopte un style moderne et bien plus confortable sous la houlette de l’architecte Lucien Thomas, à qui l’on doit le cinéma Cyrano-Roquette (1912-1969), actuel Théâtre de la Bastille. Le Marcadet possède une grande scène pour les attractions, qui servira notamment après-guerre à l’enregistrement de diverses émissions de variétés comme Feux de joie, À l’école des Vedettes ou encore le tirage de la Loterie nationale. Le dessinateur Marcel Gottlieb (plus connu sous le nom de Gotlib), dans un entretien paru en 2008 dans le magazine Première, se souvient :
“Après-guerre, je suis devenu boulimique. J’habitais le 18e arrondissement de Paris et, tous les samedis soirs, nous allions avec ma mère au Marcadet-Palace. Une vraie fête à chaque fois : le film était précédé d’un documentaire, des actualités, des « passages » (les bandes-annonces de l’époque), quelquefois d’attractions. Je crois, sauf erreur, avoir vu sur scène Gilbert Bécaud, alors totalement inconnu.”
C’est d’ailleurs au Marcadet Palace que débute la carrière de Johnny Hallyday. Invité, le 30 décembre 1959, de l’émission radiophonique Paris-Cocktail de Pierre Mendelssohn après un passage remarqué en juin de la même année au Golf Drouot [où il obtient un “Diplôme du rock” avec la mention “formidable” pour sa prestation, également obtenu en 1962 par Willy Balton (de son vrai nom Robert Hue) et les Rapaces, comme le rappelle le site amourdurocknroll.fr], le jeune rocker n’a alors que 16 ans. Cintré dans un costume rose clinquant emprunté à son oncle Lee Hallyday, Johnny saute, se déhanche et réveille l’assistance habituée aux doux trémolos de la voix de Colette Renard, vedette de l’émission. Ce soir-là, il est repéré par les paroliers de la chanteuse réaliste, Jil et Jan, après avoir chanté Tutti-frutti et la version française de Let’s have a party d’Elvis Presley, Viens faire une Partie. Il est embauché dans la foulée par le directeur du Marcadet pour jouer lors des intermèdes musicaux.
Tout va très vite, en janvier, il rencontre le directeur artistique de Vogue, signe son premier contrat en février, enregistre son premier disque avec quatre titres T’aimer follement, J’étais fou, Oh, oh, baby et Laisse les filles, le super 45 tours sort le 14 mars 1960. Sur la pochette, Johnny tient une guitare, empruntée à Jacques Dutronc (et son groupe Les Dritons) qu’il fréquente au Golf Drouot et au square de la Trinité. En juin, Souvenirs, Souvenirs est son premier succès, la carrière de Johnny est lancée. L’histoire se répète au Marcadet, dans le même radio-crochet, le 15 avril 1961, avec un groupe qui n’a pas encore de nom, mené par un jeune Niçois, Hervé Forneri, dont le nom de scène est Dick Rivers, en hommage à son idole, Elvis Presley qui incarnait le personnage de Deke Rivers dans le film Loving You (1957). Le succès est immédiat, la formation prend le nom de “Chats sauvages”, signe la semaine suivante chez Pathé-Marconi, le 24 avril 1961, jour anniversaire du chanteur et sort son premier disque le 12 mai.
Le Marcadet est aussi un lieu de réunions syndicales et politiques. Le 30 septembre 1969, une réunion est organisée par l’Union nationale des commerçants, artisans et professions libérales (UNCAP) avec huit députés de toutes tendances afin d’échanger sur les revendications des commerçants, suite à une grève et une série de manifestations s’inquiétant de la hausse des patentes et le contrôle des prix. Le 3 novembre 1970, le secrétaire général adjoint du parti communiste, Georges Marchais, participe à une assemblée-débat avec deux autres représentants de la gauche, Claude Estier et Jean Poperen, sur la « normalisation » en Tchécoslovaquie et ses incidences sur l’unité de la gauche, rapporte le journal Le Monde dans son édition du 5 novembre. En 1971, une grande réunion publique s’y tient après l’assassinat d’un jeune magrébin, Djellali Ben Ali, à la Goutte d’Or, à l’initiative de “l’Assemblée populaire contre le racisme” soutenue par des intellectuels de l’époque comme Michel Foucault, Gilles Deleuze et Jean-Paul Sartre. L’année suivante, en décembre, la scène du Marcadet Palace accueille le “Gala de solidarité des objecteurs de conscience” avec notamment à l’affiche, Maxime Le Forestier, Alan Stivell et Marie Paule Belle, organisée par l’association des Amis de Louis Decoin (syndicaliste et militant pacifiste).
Le Marcadet Palace ferme ses portes en 1973, il sera détruit en 1974 puis remplacé par un supermarché.
*C’est devant ce magasin qu’a eu lieu en 1986, le terrible attentat de la Rue de Rennes.
**Co-fondatrice en 1955 de l’Association française des cinémas d’art et d’essai (AFCAE)
Merci à Martine et Simone Lancelot, Evelyne Tissier, Dominique Blattlin et aux habitants pour leurs témoignages.
Témoignage de Dominique François Lintanf (habitant du 18e) :
Le merveilleux Marcadet Palace, cinéma et Music-hall. Premier souvenir, La Strada de Fellini. Drôle d’idée de la part de ma mère de m’envoyer voir un film comme ça, mais quel régal ! Je n’ai pas tout compris bien sûr, mais cette musique, le grand Zampano et Gullieta Massina et son nez rouge (en noir et blanc), j’en pleure encore ! Pour Les Dix Commandements, programmé sur deux semaines, il y avait dans le hall d’entrée des statues et des sarcophages en carton-pâte, du vrai Hollywood en mieux ! Les soirs de relâche, il y avait des spectacles de music-hall. J’ai assisté à la première prestation de Johnny Hallyday, le 30 décembre 1959, il se produisait en équilibre sur un strapontin pour l’émission radiophonique Paris-Cocktail. Et puis, avec Albert Raisner, Feux de Joie, toutes les vedettes de l’époque passaient au Marcadet pour quatre ou cinq chansons au plus. Un souvenir ému pour Aznavour créant Tu t’laisses aller avec sa cravate dénouée, sa veste sur l’épaule, assis sur un tabouret de bar face au micro. Ça nous changeait de Tino Rossi ! J’ai vu aussi Gilles Vigneault se faire sortir de scène (le pauvre !) au bout d’une chanson. Incroyable public populaire, les places n’étant pas chères, surtout au balcon. A l’entracte, un petit monsieur chauve, ressemblant vaguement à Fred Astaire, distribuait des contremarques afin que l’on puisse prendre l’air, fumer ou boire un verre au troquet d’en face.
Témoignage de Daniel Vaillant (ancien ministre, député-maire du 18e, entretien à retrouver ici) :
J’allais le plus souvent au Marcadet Palace. Nous y allions le jeudi, le jour où nous n’avions pas école. Il y avait le Club Junior. Le Marcadet présentait en première partie les publicités de Jean Mineur et une attraction. On y voyait des jongleurs sur scène et des artistes venaient participer à La roue tourne (Jeu télévisé itinérant de la première chaîne qui fit connaître le présentateur Guy Lux, en 1961). Malheureusement, cette très belle salle a été vendue dans le cadre d’une opération immobilière. On y installa une supérette au rez-de-chaussée. L’endroit était particulièrement bien tenu. Les ouvreuses accueillaient les enfants. Il y avait un accès égalitaire à la culture tout au moins au cinéma.
Témoignage de Patrice Boutet :
Mon préféré, et le plus proche de chez mes parents « le Marcadet Palace », rue Marcadet devenu…. un supermarché : C’était le ciné de la famille. En attraction, Johnny Hallyday ! Attention nous sommes dans ses débuts : c’est l’époque de sa chemise en dentelle noire (comme sur la pochette de l’un de ses 45 tours), Dans un décor étrange : un cactus en carton avec un saxophoniste caché derrière ! Il a quand même fait mieux depuis. Je crois que cette salle organisait des petits spectacles en après-midi : splendides prestations des « Charlots » (ceux d’Antoine) avec leurs boots en plastiques oranges… C’est un vieux souvenir, j’avais 12, 13 ans. C’est la seule fois que j’ai vu Johnny sur scène, on ne peut donc pas dire que je suis un vrai fan. Donc je maintiens. Concernant le « cactus en carton » et le joueur d’un engin en laiton ça me semble difficile que ça sorte juste de mon imagination ( un peu tordu non?). Dans les cinémas, entre autres, au Marcadet Palace je crois, il y avait un rideau. Sur le rideau, étaient « peintes » des publicités, dans des rectangles, des carrés, des drapeaux aux vents je me demande encore comment on pouvait peindre si haut, …y’ avait un truc. Il y avait tous les commerçants, artisans, donc : plombiers, bouchers, menuisiers, garagistes, électriciens, électriciens automobiles… A ma connaissance c’était payant pour l’annonceur bien entendu. Visuellement le rideau en lui même était assez nul. Mais avec mon frère aîné, qui me trainait souvent, on avait inventé un jeu vachement intelligent. Il fallait choisir un mot dans le rideau que l’autre devait retrouver, ceci chacun son tour. Par exemple, dans un encart du type « Chez Robert, le plus nul des Camemberts (on passe à la ligne), Faut y aller, poil au nez ». On demandait à son voisin (mon frangin) de trouver le mot « nul » « nul » , choisi dans un coin perdu (pas trop au bord, trop facile) était tout petit dans ce grand rideau. C’était chouette, et ça faisait passer le temps. J’ai retrouvé ce type de rideau dans une salle en province (à Moulins – 03 ). J’ai essayé de jouer avec une de mes filles, ce ne fut pas le grand succès escompté, les temps changent comme disait Dylan avant de changer de voix. À cette époque, on allait au cinéma dans le quartier, à pied, les salles citées étant très proches. On rentrait à la maison de même en échangeant nos impressions.
Dans les cinémas, il y avait des ouvreuses, celles qui vendaient des bonbons qui font du bruit. Lorsque l’on entrait dans la salle, après avoir acheté son billet on attendait l’ouvreuse pour nous désigner notre place. Très poliment on demandait » vers le milieu » ou « pas trop près », elle s’arrêtait entre deux rangées de siège, tendait un bras ferme, nous imposant d’aller nous asseoir là où il n’y avait que deux fauteuils de libre pour trois personnes. Et en allant au cinéma pour un billet, on avait : Un documentaire, des actualités Pathé, de la Pub Jean Mineur, une ouvreuse avec son cageot en osier plein de caramel dans des sachets qui faisait un bruit d’enfer, une attraction (sur scène des gens vivants qui faisaient des trucs, et enfin le Film en NB ou en couleurs, et qu’on pouvait voir deux fois !
Témoignage de François Petit (Vidéo-club de la Butte, entretien avec Christophe Petit, à retrouver ici) :
Rue marcadet, il y avait une grande salle de cinéma le “Marcadet Palace”, à l’emplacement actuel d’un supermarché. Cette salle accueillait les patronages le jeudi. Je l’ai bien connue, j’y allais enfant dans les années 70, elle a été détruite depuis. C’était un quartier dans lequel il y avait beaucoup de cinéma, je me souviens avoir vu Ben-hur au Gaumont Palace, cette salle était vraiment incroyable, on pouvait même y dîner, il y avait des attractions…