PALAIS ROCHECHOUART
56, boulevard Rochechouart Paris 18e
1912 – 1929 – 1969
Ouverture : 1912 (1 462 places), rénovation en 1929 (1660 places)
Fermeture : 11 novembre 1969
Aujourd’hui, un magasin d’électroménager.
En partenariat avec le magazine Historia. Pour contribuer et témoigner : CINÉMAS DE PARIS
Près de la station de métro Anvers, siégeait une des plus belles salles du quartier, qui méritait bien le nom de Palais. Ouvert en 1912 par la Société des Grands Cinémas, le Palais Rochechouart disposait de 1 462 places, d’un balcon et d’un toit ouvrant, tout comme le Ternes Palace, et plus tard La Scala, pour des séances en plein air, ce qui ravissait les spectateurs par grande chaleur. Les foules se ruent pour savourer les films en première exclusivité. En 1924, un jeune musicien, Stéphane Grappelli, habitué à jouer dans les cours du quartier pour quelques francs, fait ses débuts au sein de l’orchestre du Palais Rochechouart, en remplacement d’un violoniste de cinéma muet tombé malade, parent de son voisin le guitariste Rizzo. Ce dernier ne manque pas de lui donner un conseil avisé “Surtout ne rate pas cette occasion car je suis sûr qu’un jour tu n’auras plus besoin de jouer dans les cours”. Grappelli, après avoir pris sa carte à la CGT, sésame nécessaire pour rejoindre l’orchestre, débute sa carrière au Palais Rochechouart en jouant la partition de Monsieur Beaucaire un film muet de Sidney Olcott, marquant le grand retour à l’écran de la star Rudolph Valentino.
En 1929, c’est l’avènement du parlant, la salle est rénovée par l’architecte Henri Belloc dans le style Art déco avec son imposante façade de béton dotée d’un large auvent. La décoration est sobre, la salle dispose d’un impressionnant balcon en arc de cercle. Modernité oblige, un soin particulier est apporté à la sonorisation du cinéma. Le nouveau Palais peut accueillir 1 660 spectateurs et rouvre ses portes en novembre 1929 avec un film sonore produit par la Paramount La Chanson de Paris de George Wallace. Premier film hollywoodien de Maurice Chevalier dans lequel il interprète “Valentine”… Dont on se souvient qu’elle avait de tout petits petons. Géré par la suite par le circuit Aubert, il devient Palais Rochechouart Aubert. Le circuit Aubert est dans la foulée racheté par Gaumont, il prend le nom de Palais Rochechouart, Théâtre Gaumont-Aubert. Architecte des cinémas Aubert (Moderne Palace, le Régina…), puis Gaumont, Henri Belloc se consacre l’année suivante au renouveau du Gaumont Palace, un imposant cinéma de la place de Clichy ayant conservé l’architecture “Beaux Arts” de l’ancien hippodrome de l’exposition universelle de 1900. Le Gaumont Palace deviendra en 1931, le “plus grand cinéma du monde”, un paquebot Art déco de 6 000 places.
Le succès est au rendez-vous, en 1931, le cinéma de quartier réalise un chiffre d’affaires de 5 millions de francs, ce qui est important à l’époque. Le Palais Rochechouart accueille des avant-premières, en septembre 1931, deux films créent l’émoi, Mamzelle Nitouche de Marc Allégret et La Chienne de Jean Renoir. La raison, la jeune comédienne de 23 ans, à l’affiche des deux films, Janie Marèse, vient de se tuer dans un accident de voiture quelques semaines avant sa révélation au grand public, ce qui précipite la sortie des films nous rapporte La Vie Parisienne du 12 septembre 1931. Le Palais Rochechouart est plébiscité par la profession, les producteurs y présentent les “nouveautés” aux exploitants, Dracula de Todd Browning (1931) avec Bela Lugosi y est présenté en 1932. Les productions françaises, mais aussi les péplums et autres films à grand spectacle sont projetés dans la vaste salle de 1 660 places du “Palais” (pour vous donner un ordre d’idée, c’est plus de quatre fois la capacité de la grande salle actuelle du Louxor), Les Aventures de Robin des Bois (1938) avec Douglas Fairbanks y est présenté en avril 1939. Sur scène, se succèdent, chansonniers, actualités et grands films.
Sa programmation est assez éclectique, en 1966, on y croise des comédies, Les Malabars sont au parfum, avec Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, Les enquiquineurs avec Michel Galabru et Michel Serrault, 3 sur un Sofa avec Jerry Lewis, Dominique avec Debbie Reynolds, l’histoire de la nonne chantante, dont le refrain fit sourire la France entière, des films d’aventure Le Seigneur de la guerre avec Charlton Heston, Fureur sur le Bosphore, dans la lignée des James Bond. Mais la rentabilité d’une salle trop grande, de surcroît mono-écran, est rudement mise à l’épreuve au milieu des Trente Glorieuses. En 1969, l’année de sa fermeture, le Palais Rochechouart présente Bullitt avec Steve Mc Queen, Le Cerveau avec David Niven, Bourvil et Belmondo, Duel dans le Pacifique ou encore Le Bon, la brute et le truand. Le cinéma ferme ses portes le 11 novembre 1969 avec à l’affiche L’Homme le plus dangereux du monde, un film d’espionnage avec Gregory Peck. Il devient en 1970 le Centre commercial du Palais Rochechouart avec 50 boutiques. Le lieu est essentiellement fréquenté par la communauté antillaise, où l’on pouvait y trouver des disques, vêtements et produits exotiques. Détruit, il laisse la place à un commerce d’électroménager. Les ors du Palais se vivent aujourd’hui dans les souvenirs des cinéphiles du quartier.
A l’affiche : La Reine s’ennuie de George Brackett Seitz, un feuilleton de 1918, L’Éternel Retour un film de Jean Delannoy (1943).
Témoignage : Liliane Vittori, enfant du quartier dans les années 1950
J’habitais 84 rue Rochechouart et j’avais 6 ans en 1956. Sur le boulevard, le cinéma Palais Rochechouart (du même nom que ma rue !) semblait vraiment un « Palais » – comme dans Le Magicien d’Oz - dissimulant à l’intérieur un mystérieux parc d’attractions ; et avec à l’extérieur un « général d’opérette » qui gesticulait pour attirer les badauds. Cela nous amusait, mon père et moi. Toute petite, j’y ai vu le dessin animé de Disney, Peter Pan (sorti le 23 décembre 1953). Ma mère me raconta que ce jour-là je faisais partie des attractions ! A ma manière de réagir – me levant du balcon – pour encourager Peter Pan qui ferraillait contre le Capitaine Crochet ! J’y ai vu aussi Ne touchez pas au grisbi, un film de grands, tourné en partie à Pigalle, pas très loin de chez moi. Une autre fois (mais était-ce au Palais Rochechouart ou dans un autre cinéma tout proche ? Il y en avait tellement !), ma nourrice m’a amené voir Le Ballon Rouge (sorti le 19 octobre 1956) m’expliquant que l’histoire se passait tout près, sur la Butte Montmartre. J’apprendrai qu’en réalité c’était sur les hauteurs de Ménilmontant. Peu importe ! De ce film poétique, vient ma passion du cinéma. J’ai appris encore plus tard que Le Ballon Rouge d’Albert Lamorisse était l’un des films préférés de stars d’Hollywood aux côtés de Citizen Kane et de Lawrence d’Arabie. Il fut mon ancre, mon film de référence tel un rêve qui avance encore … comme sur l’écran du cinéma de mes années d’enfance.
Témoignage de Denise Gluck. [Denise répond à Liliane sur la projection du Ballon rouge]
J’apporte une précision, c’est au Delta, et non au Palais Rochechouart qu’est passé en 1956, Le Ballon rouge. Mes souvenirs sont très précis. Le Delta dans ces années-là était mieux qu’un honnête cinéma, comme l’indique la notice, il méritait le titre d’Art et essai. Le Palais Rochechouart était, en effet, un cinéma chic du quartier, c’est là que j’ai vu mon premier film dans les années 40, Blanche Neige, sans doute en exclusivité. Mais le Louxor et le Myrha restent plus chers à mon cœur.