PARIS-LOUXOR rencontre les élus. Convaincu du rôle que peut jouer la culture pour désenclaver et valoriser les quartiers, Daniel Vaillant, maire (PS) du 18e arrondissement, voit en la réhabilitation du Louxor une des clefs du rééquilibrage du carrefour Barbès, au travers notamment de la question de l’éducation artistique. Il propose que soit amorcé une réflexion sur la construction de conservatoires afin d’offrir aux enfants un accès égalitaire à la culture. Conscient des problèmes d’aménagement et de trafics, il fait le point sur la question du Vanoprix, évoque la réhabilitation de l’Elysée Montmartre et la diversité de l’offre culturelle dans le 18e arrondissement. En outre, il rappelle son attachement à ce que le nouveau Louxor devienne un lieu, non-élitiste, d’échange et de mixité sociale ouvert sur les trois arrondissements.
Le Louxor suscite beaucoup d’intérêt et d’espoir dans le quartier, les habitants s’engagent pour accompagner sa réhabilitation, c’est assez inédit comme démarche…
Daniel Vaillant : Nous essayons d’obtenir quelquefois la nomination des futurs directrices et directeurs avant la construction des établissements. Nous l’avions obtenu par exemple, pour l’hôpital Bretonneau. Madame Lesage ayant été nommée directrice deux ans avant les travaux, l’architecte a dû travailler avec elle et intégrer des éléments de fonctionnalité qui n’étaient pas prévus à la première écriture. Pour le Louxor, il n’est pas question de nommer un directeur à ce stade de la réhabilitation du Louxor. Ce n’est pas le sujet. L’accompagner est essentiel, et l’on sait qu’intervenir avant l’ouverture avec la population et les associations est utile pour le bon fonctionnement du futur projet. Le Louxor est un patrimoine public. La période est difficile, il est important que les citoyens et les habitants se l’approprient, pas au sens de la privatisation mais de celui de l’intérêt général, pour accompagner, surveiller, sauvegarder ces lieux. Les citoyens ont leur mot à dire lorsqu’il s’agit de la propriété commune. C’est une sorte de vigilance citoyenne à exercer. C’est avec les deniers des Parisiens que l’on réhabilite le Louxor. Ce n’est pas rien, c’est l’argent des contribuables. C’est un juste retour des choses. Je connais le Louxor depuis longtemps, il a, en quelque sorte, accompagné ma jeunesse…
Où habitiez-vous ?
Je suis arrivé dans le 18e arrondissement en 1958, j’avais 9 ans. J’arrivais de la Nièvre. J’étais un petit immigré ! J’habitais au 5 de la rue du Chevalier-de-la-Barre, près de la rue Ramey. Ensuite mes parents se sont “embourgeoisés” en s’installant place Constantin Pecqueur après avoir vendu leur appartement… Mon père était ouvrier chez Renault et ma mère guichetière à la sécurité sociale. Je ne les ai pas suivis. Je me suis mis en ménage rue Nicolet, ensuite avec mon épouse de l’époque, nous avons acheté l’appartement de la rue Ernestine en 1975 dans lequel je vis toujours.
Le 18e a été un arrondissement particulièrement bien doté en cinémas, il y a eu jusqu’à 37 salles, aujourd’hui il n’en reste plus que 2, le Studio 28 et le Pathé Wepler…
Je connais bien le quartier du Louxor et ses salles de cinéma. Je fréquentais le Barbès Palace[1]. Hélas, on l’a laissé filer. Je ne sais pas quand cela est arrivé, c’est dommage que la Ville n’ait pas exercé, à cette époque, un droit de préemption… C’est aujourd’hui un marchand de chaussures !
J’ai bien connu également le Myrha Palace où se trouve aujourd’hui l’église du Nazaréen, le Delta, le cinéma des Abbesses et le Gaîté-Rochechouart où l’on y projetait beaucoup de films américains, mais je n’y allais pas trop… Il y avait l’Ornano Palace également. J’allais le plus souvent au Marcadet Palace. Nous y allions le jeudi, le jour où nous n’avions pas école. Il y avait le Club junior. Le Marcadet présentait en première partie les publicités de Jean Mineur et une attraction. On y voyait des jongleurs sur scène et des artistes venaient participer à La roue tourne[2]. Malheureusement, cette très belle salle a été vendue dans le cadre d’une opération immobilière. On y installa une supérette au rez-de-chaussée.
L’endroit était particulièrement bien tenu. Les ouvreuses accueillaient les enfants. Il y avait un accès égalitaire à la culture tout au moins au cinéma. J’ai le souvenir d’avoir été une fois au Gaumont Palace, pas plus parce que c’était tout même assez cher. Il y avait Ben-Hur à l’affiche. Mais le plus marquant reste sa destruction. C’est une catastrophe que d’avoir détruit ce monument. Je ne dis pas que c’était un modèle architectural, il était assez imposant, un peu soviétique d’apparence. Mais tout de même, c’était une architecture qui en valait bien d’autres. L’arrivée sur la place de Clichy était impressionnante ! Et le Louxor. J’ai dû y aller quelquefois avec mes parents. Au début des années 1960, il passait les films que l’on voyait partout ailleurs puis il est petit à petit devenu un cinéma pour la communauté maghrébine de Barbès.
Cette idée que les lieux de cinéma peuvent être des lieux de patrimoine, c’est récent…
Tout à fait. Dès que j’ai été élu, je me souviens avoir alerté des élus et maires des arrondissements alentour, notamment Claude-Gérard Marcus (maire du 10e de 1983 à 1989 ndlr), au moment de la fermeture du Louxor. Malheureusement à l’époque, ils étaient insensibles à la question. C’était pour beaucoup un cinéma d’immigrés. Ce combat pour le Louxor a pris du temps, il a fallu que Bertrand Delanoë arrive en 2001 et le rachète en 2003. Heureusement que la démarche a été faite dans cette première mandature, parce qu’aujourd’hui avec les difficultés budgétaires rencontrées, je ne suis pas sûr que la Ville se lancerait dans une opération comme celle-ci. C’était important de le faire et il l’a fait.
On a connu des difficultés lors du rachat des Trois Baudets. Ce n’était pas une affaire évidente… mais le vrai problème que posent ces rénovations, c’est la question de la mémoire. C’est l’avantage d’avoir des élus d’une certaine génération. Les Trois Baudets[3], ça nous évoque quelque chose. Pour moi, c’était Georges Brassens, Jacques Brel, Boris Vian etc. Lorsque Charles Aznavour m’a parlé de la réhabilitation de cette salle devenue un sex-shop après sa fermeture, je suis alors intervenu auprès de Jean Tiberi et de Bernard Bled, secrétaire général de la Ville de l’époque. Il y a eu programme de réhabilitation de logements sociaux au-dessus, de bonne facture. Puis j’en ai parlé à mon ami Pierre Perret et à Bertrand Delanoë. C’est un lieu mythique qui n’aurait jamais dû disparaître du patrimoine populaire. Ensuite quand les travaux ont débuté, on s’est vite retrouvé avec des problématiques identiques à celles du Louxor : l’insonorisation, le respect de l’environnement. On a dû mettre en place un système de boîte dans la boîte, comme au Louxor.
Le Louxor a une histoire et il me semble tout à fait normal qu’une ville comme Paris préserve un lieu comme celui-ci. Il y aussi le projet d’Institut des cultures d’islam (ICI) à la Goutte d’Or. Même s’il est décrié, c’est un lieu qui, dans sa configuration actuelle, marche très bien, pour sa partie culturelle. Il y a eu une phase de concertation, ça a pris du temps. Comme vous avez pu également le constater pour le Louxor. L’avantage, c’est que les citoyens, à travers vous, parce que vous êtes sur le terrain, suivent l’évolution du projet, vous êtes en mesure d’expliquer les choses, lorsque les habitants vous posent des questions et s’interrogent sur ce qui est en train de se faire.
« Je me bats pour qu’il y ait une offre plus forte en terme de conservatoires pour les enfants (…) si tous les enfants avaient
la possibilité de faire du sport, d’exercer un art, nombre de problèmes seraient évités. Il y aurait moins de désœuvrement. »
Pour le quartier populaire Barbès, c’est important d’après vous, de réintroduire du cinéma, de la culture dans un espace saturé par la circulation et les différents trafics ?
Oui, pour ce qui est des trafics, on peut même parler d’occupation illégale de l’espace public. Il y a deux éléments importants, la proximité et la culture, mais à accès égal. Le problème de la culture aujourd’hui est qu’elle reste encore un peu élitiste. C’est pour cela que je me bats, pour qu’il y ait une offre plus forte en terme de conservatoires pour les enfants. Pour moi, il est primordial de considérer la culture dans sa dimension sociale ; la culture crée du lien social et l’on ne prend pas assez cela en considération. Je pense à ces enfants qui vivent dans des univers concentrés. Le dernier recensement le démontre, il y a 202 000 habitants dans le 18e et cela va continuer. Il faut d’autant plus favoriser cet accès à la culture. Je pense qu’il faudrait réfléchir à la manière dont l’Etat peut aider, à travers des dotations spécifiques ou de fonctionnement, à la construction de conservatoires municipaux ou intercommunaux en France. Heureusement il y a des associations et des clubs. Etre au conservatoire pour pouvoir acquérir ou exercer un don, c’est formidable. Tout enfant a cette capacité. Jouer du violon et être fils ou fille de plâtrier, ce doit être possible.
L’accès à l’éducation artistique est important. On nous parle sans cesse de problèmes de sécurité mais si tous les enfants avaient la possibilité de faire du sport, d’exercer un art, nombre de problèmes seraient évités. Il y aurait moins de désœuvrement. Le Louxor est donc un chance pour un quartier comme Barbès. Il est le témoignage d’une époque mais aussi une affirmation. Lorsque la question du choix de l’architecture de l’Institut des cultures d’islam s’est posée, il y a eu un concours, une présentation des maquettes. Lorsque l’on a vu le travail abouti, on ne s’y est pas retrouvés. On nous a présenté deux bâtiments insipides qui n’assumaient pas d’être dédiés aux cultures d’islam. La première réaction a été de dire, assumez, assumons-le ! Sans aller jusqu’à imaginer un élément architectural ostentatoire, il faut que l’on puisse voir que c’est un lieu dédié à la culture. C’est drôle cette volonté de vouloir le noyer dans le paysage urbain. Personne ne pourra dès lors ignorer qu’il s’agit de lieux dédiés aux cultures d’islam, voire à l’exercice du culte, dans sa version 1905[4].
Je suis très heureux que le Louxor réapparaisse dans le paysage, avec en face le centre Barbara Fleury-Goutte d’Or, consacré aux musiques actuelles… J’ai 62 ans, je ne suis pas un fanatique de ce genre de musique mais je m’y intéresse. J’ai d’ailleurs été à l’origine de la réglementation des rave et free parties, dont l’idée était de responsabiliser sans interdire.
Des interactions sont possibles entre ces lieux…
Oui, c’est très important. Je pense au Lavoir moderne parisien qui a certes des difficultés, mais qui reste une heureuse idée sur le plan culturel. Ensuite, les soucis de gestion, c’est une autre question, mais penser que les lieux se font concurrence et que cette concurrence est à l’origine des problèmes financiers n’est pas exact. Il faut savoir trouver des synergies. Le centre Barbara travaille dans cet esprit, avec, par exemple, le conservatoire de la rue Baudelique. Chacun a sa place dans ce maillage culturel et il faut le penser avec intelligence.
« Une chose est sûre, l’Elysée Montmartre reprendra »
Parlons des deux autres lieux emblématiques, le Trianon et l’Elysée Montmartre…
Nous n’avions pas les moyens, publics, pour reprendre le Trianon. Les deux jeunes repreneurs, Julien Labrousse et Abel Nahmias ont fait du très bon travail. La salle est merveilleuse. On a le sentiment de l’avoir toujours connue ainsi. L’ancien propriétaire Monsieur Uzan m’avait fait la promesse de le vendre à des personnes qui réhabiliteraient le lieu et ne détourneraient pas la salle de son objet initial. La promesse a été tenue et le résultat est de bonne facture. Il souhaiterait faire de même avec l’Elysée Montmartre dont il est propriétaire mais il est en désaccord avec le détenteur du bail, c’est pour cette raison que cela traîne un peu. L’incendie a causé d’importants dégâts (le 22 mars 2011, un incendie ravage le bâtiment : le toit et la scène sont détruits, ndlr). D’après ce qu’il m’a dit, l’assurance prendra en charge la reconstruction. Puis, charge aux nouveaux acquéreurs de redécorer la salle et de faire en sorte qu’elle redevienne un lieu de spectacle, comme avant. Et cela continuera à s’appeler l’Elysée Montmartre !
On a l’assurance que la salle sera rénovée à l’identique ?
On en a l’assurance et le lieu gardera sa destination. Pour quel type de spectacle, je ne sais pas. Mais cela continuera à être une salle de spectacle. Je crois savoir qu’il y a déjà deux ou trois repreneurs possibles. Dès que les travaux de structure auront été refaits, il revendra la salle, tout ce que j’espère, c’est que les futurs propriétaires ne trahiront pas l’esprit de la salle. Le propriétaire actuel souhaite passer la main mais il est attentif à son devenir car son grand-père était le propriétaire du Bal de l’Elysée Montmartre, c’est une affaire de famille. Il conservera par contre le commerce attenant à la salle qu’il restructurera. Une chose est sûre, l’Elysée Montmartre reprendra. On peut trouver des solutions privées quand on n’a pas d’argent public à mettre dans des projets, avec la possibilité d’avoir un droit de regard sur ce qui se fera. Même chose pour le Moulin Rouge, c’est un projet privé et patrimonial, on y a été attentif. Du Louxor jusqu’au bas Montmartre. L’Elysée Montmartre, le Trianon, le Divan du monde, dont les propriétaires viennent de racheter Madame Arthur, les Trois Baudets, même le Théâtre des Deux-Anes que nous avons aidé pour la rénovation de la façade. Nous avons fait notre travail et su préserver cette activité. Il aurait pu en être différemment… spéculation oblige.
Vous l’imaginez comment la vie du Louxor ?
Ce que je voudrais, c’est qu’il y ait beaucoup de monde. Si on pouvait faire en sorte que le lieu ne soit pas trop élitiste, ce serait mieux. J’aimerais que ce soit un lieu fréquenté. On va au Louxor pour s’enrichir, il faut que ce soit un lieu ouvert, pas un lieu de spécialistes. Quitte à diversifier les activités, d’abord cinématographiques, ensuite des expositions thématiques, puisqu’il y aura un lieu dédié (café-club-expo ndlr), des débats, des conférences. Si, par exemple, l’ICI a une belle programmation et qu’elle ne peut la montrer dans ses murs, le Louxor pourrait l’accueillir. Je pense qu’il faut concevoir une modularité des activités.
Comment imaginez-vous que cela puisse modifier la dynamique du carrefour Barbès ?
C’est un lieu compliqué. On le voit avec le Vanoprix, quand on voit ces palissades – et les déchets qui s’amoncellent derrière – d’ailleurs certains s’en réjouissent car cela réduit l’espace public pour les vendeurs de cigarettes.
« KFC nous a confirmé qu’il n’était pas intéressé (…) la question est de savoir si Vanoprix va être à vendre. Ce n’est pas tranché »
Où en sommes-nous ?
L’expertise a eu lieu, et selon l’enquête judiciaire, l’incendie n’était pas intentionnel. KFC nous a confirmé qu’il n’était pas intéressé. Dans le cas contraire, j’aurais émis un avis négatif, même s’il n’est pas décisionnaire. Juridiquement, je n’ai pas le droit de refuser un permis de construire sur une opération privée…. Ce que l’on voudrait, c’est qu’il puisse y avoir un lieu de vie. J’ai connu deux grands cafés, l’un à la place de Tati, le Dupont (Immortalisé dans un film d’Henri Lepage en 1951 « Dupont Barbès » ndlr), l’autre à celle de Vanoprix, le Rousseau. C’étaient de belles brasseries ! Il y avait aussi les Galeries Dufayel à l’emplacement actuel de la BNP. L’urbanisme seul ne suffit pas, mais il est indispensable. A la place du Vanoprix, il pourrait y avoir une activité commerciale, si possible de qualité, et l’on pourrait peut être à l’occasion repenser le lieu et gagner deux étages. La question est de savoir si Vanoprix va être à vendre. Ce n’est pas tranché…
Le propriétaire ne peut laisser le lieu en l’état…
Il me semble que des injonctions de travaux ont été faites par la préfecture de police, toutefois, c’est assez complexe notamment parce que cela concerne également l’immeuble situé sur le boulevard la Chapelle. On est sur une propriété privée, donc soit le propriétaire vend et je ferais tout pour que la Ville préempte pour y faire un immeuble avec, pourquoi pas, un espace convivial au rez-de-chaussée, en tout cas, pas un fast-food.
C’est important pour vous d’impliquer la population dans les choix que vous faites ? De quelle manière ?
On nous reproche d’être peut-être atteints de « réunionnites » mais il faut savoir que les projets les plus complexes sont des projets d’espaces publics, où la concertation est la plus longue. Et ce n’est pas une perte de temps. Le maire doit trouver le chemin du compromis. Si on veut que les citoyens se réapproprient l’espace public, il faut leur donner l’occasion de le faire, ensuite les élus doivent trancher.
Pour le Louxor, il y a eu au moins trois réunions de concertation, j’aime les organiser à la mairie car c’est la maison de tous. Dans ces réunions, on y discute, on explore les options. Et on choisit la bonne. Il n’y a pas d’opposition car les gens savent qu’ils agissent pour la bonne cause en s’appropriant le projet. Je crois beaucoup à cette méthode. Je crois à la discussion.
D’autres exemples de concertation ?
Oui par exemple dans le quartier Amiraux-Simplon, avec un contexte associatif complexe, il y a des discussions. Mais c’est essentiel, il y a eu des décisions sur les sens de circulation. Rue des Poissonniers également, Barbès, Doudeauville. L’exemple de Chapelle International est intéressant, la dernière réunion a rassemblé plus de 300 personnes. La concertation est importante, les idées sont bonnes.
Du point de vue de l’espace public, que va créer l’ouverture d’un cinéma à Barbès qui est un secteur très commerçant ?
J’aimerais avant tout que la préfecture de police règle les problèmes qu’elle a à régler, par exemple les trafics. J’aimerais aussi que la RATP s’engage bien dans le projet, il y a déjà eu des avancées. Mais je crois aussi que l’urbanisme doit contribuer à l’évolution du secteur. Il est évident qu’il y a un problème de flux à Barbès. Il y a les flux du vendredi ; il y a le flux créé par Tati. Il faut donc savoir gérer ça. Il faudrait arriver à intégrer Vanoprix (qui sera le prochain nouvel espace avec le Louxor) dans la dynamique du quartier pour que les gens qui sortiront du cinéma puissent y trouver un espace de restauration ou de bar ou de salon de thé, de qualité. Car au niveau de ce carrefour, il y a des difficultés, il y a des problèmes notamment le jour du marché, et ce n’est pas facile, me dit le commissaire.
La mission cinéma a organisé une réunion au centre Barbara, on a vu beaucoup d’habitants intéressés par le projet du Louxor. Il y a là une véritable envie, une attente.
J’espère que les candidats retenus seront très bons. Car il y a des exemples de lieux culturels pour lesquels il y a eu des difficultés. Mais l’appel d’offres permet d’évaluer l’expérience des candidats et le projet qu’ils proposent dans le cadre de la délégation de service public (DSP). Tout ça est très réglementé. Les citoyens ne peuvent y participer. La DSP sera suivie par la Ville qui s’assurera de faire respecter le cahier des charges. Au fil du temps, la Ville pourra l’ajuster, à l’usage. Les citoyens, en accompagnant ce processus de suivi de la délégation, exerceront avec vigilance un contrôle sur le délégataire. Le Louxor a sans nul doute une utilité populaire, bien qu’il ait été construit dans un quartier resté longtemps en déshérence, nous pensons que cette salle en particulier et la culture en général peuvent le rééquilibrer et le requalifier. Le Louxor d’un côté et Vanoprix (et sa future destination) de l’autre. Ainsi, Barbès ne sera plus voué au misérabilisme.
« Je voudrais que le Louxor soit un lieu d’échange intergénérationnel et horizontal en matière de quartier, que des gamins de Montmartre puissent venir au Louxor mais que des gamins de Barbès puissent aussi monter à Montmartre. »
On reconnait l’utilité de la culture, cependant elle est quasi absente des programmes politiques…
Je me méfie des budgets qu’on multiplie par un, par deux, moi ce qui m’intéresse c’est la démarche. Qu’est-ce qu’on fait ? Je ne suis pas pour la culture des MJC (maisons des jeunes et de la culture) qui est dépassée mais une culture pour la jeunesse pour qui l’école ne peut pas être le seul lieu d’expression. Une culture qui puisse faire le lien entre les générations, la culture au sens de ceux qui peuvent montrer, partager, afin que cela reste. Un enfant de 10-12 ans peut être marqué par un spectacle, par un événement culturel et cela peut le structurer. Les cérémonies de la mémoire à destination des enfants sont importantes de ce point de vue là. Il en reste quelque chose, y compris des enfants vers les parents. Les enfants sont des acteurs et transmettent à leurs parents. Notamment dans le domaine de l’environnement. Des parents méritent d’être éduqués ! Je voudrais que le Louxor soit un lieu d’échange intergénérationnel et horizontal en matière de quartier, que des gamins de Montmartre puissent venir au Louxor mais que des gamins de Barbès puissent aussi monter à Montmartre. C’est le boulot des mairies d’arrondissement. Le mélange est ici essentiel, et ce depuis 1995. Quand je reçois ici des enfants, je leur dis : « C’est chez vous les gars. » Pour moi la culture, ce n’est pas la culture élitiste, et je ne manque pas de faire de l’autodérision quelquefois, voire de la provocation.
Il faut donc de la pédagogie, de l’accompagnement vers la culture qui peut paraître élitiste ?
Oui, c’est cela. Je me méfie de l’art confisqué. Il faut que ce soit un témoin, un passe. Je ne vois pas pourquoi un petit Black de la Goutte d’Or n’aurait pas accès aux mêmes choses qu’un gamin des beaux quartiers de Montmartre.
Avez-vous en tête un lieu qui représente cet idéal de culture accessible pour tous ?
Je pense à l’espace Barbara, je pense aux cérémonies dans les écoles. Les enfants peuvent s’impliquer, c’est une forme de culture démocratique et de participation. Il faut investir le champ de la culture et de la démocratie locale. Il y a une culture démocratique au sens où la culture concourt à la démocratie, surtout en période de repli, d’errements. C’est pourquoi nos priorités dans le 18e sont les portes. Il y a eu le Festival « Jazz Musette aux Puces », je trouvais que c’était un événement populaire intéressant, je me suis engagé, j’ai fait en sorte que la ville de Paris soit engagée. Ce festival marche bien et il est aux Puces de Saint Ouen !
Et pourquoi pas un festival de Barbès ?
Oui, avec les trois arrondissements impliqués !
Le secteur Barbès est représentatif de Paris, il est à cheval sur trois arrondissements, c’est un quartier mélangé, bourgeois et populaire…
Oui et il faut que Barbès cesse d’être vilipendé. Il y a d’ailleurs eu une vague d’artistes issus de Barbès qui ont valorisé le quartier. Faudel, Bashung, Jamel Debbouze. J’ai d’ailleurs regretté que Jamel Debbouze ne puisse pas participer à la fête de la Goutte d’Or en raison d’incidents qui ont eu lieu avant sa venue. Je pense aussi aux Négresses Vertes ! Le 18e foisonne. On est les plus foisonnants de Paris. J’ai visité le Théâtre ouvert de la cité Véron. Je l’ai découvert. C’est une école de formation des artistes que j’ai pu aider via la région. Le « Grand Parquet » qu’on a mis en place est aussi un exemple, dans le quartier Chapelle. On a également mis en place MILA 18 pour les labels indépendants à la place de boutiques vides rue André Messager. Ça marche. Il y a le BAL[5] aussi. Je vais y déjeuner et y voir des expos de temps en temps. Il n’y a pas de modèle, l’important est la diversification, le respect de chaque art. Si je mettais au bilan tout ce qu’on a dans le 18e, ce serait impressionnant.
Le maire de Paris a annoncé lors de la cérémonie des vœux que la bibliothèque Pajol s’appellerait Václav Havel.
Oui, avec mon plein accord ! Si on veut devenir un arrondissement culturel par décret, ce n’est pas une bonne idée, tous les arts ont leur place dans le 18e. Je déplore la disparition du Cirque Medrano à Pigalle. Je pense à la diversité. On a, par exemple, mis en place, pendant quelques années, le Festival Attitude 18 en développant un partenariat entre des salles de spectacle du 18e, ça n’a pas été facile du point de vue financier. Mais n’empêche… quel autre arrondissement peut offrir une telle diversité culturelle ? Ici tout le monde peut y trouver son compte en matière culturelle.
Quelle est votre pratique du cinéma ?
Quand j’étais enfant, nous n’avions pas la télévision. On allait au cinéma voir des films populaires français, avec Gabin, Bourvil, Fernandel. Mais aujourd’hui, je vais très peu au cinéma mais j’adore aller au spectacle, je vais au Cirque d’Hiver, à la Cigale, à l’Olympia… Je suis allé voir Elisabeth Buffet au Trianon, je vais aux spectacles du Moulin Rouge pour les anciens. Je trouve qu’il y a un consumérisme cinématographique qui, quelquefois, fait office de parcours imposés.
La culture est un exercice de citoyenneté, de formation des individus. Il faut qu’il en reste quelque chose. Mais quelquefois j’ai l’impression que le cinéma c’est un peu de la consommation. J’ai vu Bienvenue chez les Ch’tis bien après sa sortie en salles et je n’ai pas vu Intouchables.
Depuis 1977, je consacre tous mes premiers dimanches de janvier aux Papillons Blancs qui est une association d’enfants en situation de handicap. Ça aide à ne plus avoir de regard condescendant. Si un jour, je manquais les Papillons Blancs, j’aurais l’impression de manquer au rendez-vous. Je verrai bien sûr Intouchables pour comprendre le phénomène. Mais je me méfie du parcours imposé consumériste.
La conclusion, ce serait de se dire qu’il faut faire vivre le Louxor, avec tous les arrondissements. C’est mon souhait.
Retrouvez les salles évoquées dans l’entretien avec la carte « Barbès-cinéma », les salles du quartier (9, 10 et 18e arrdt.) ici
La chronologie du Louxor
Merci à Fatima Souab.
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[1] L’actuel magasin de chaussure Kata situé au 34, boulevard Barbès. Également évoqué par Michel Gondry ici.
[2] Jeu télévisé itinérant de la première chaîne qui fit connaître le présentateur Guy Lux, en 1961. L’animateur parcourait la France à la rencontre de candidats auxquels il posait des questions dans un temps imparti http://www.ina.fr/video/CPF89003049/ile-d-oleron.fr.html
[3] Les Trois Baudet est une salle de spectacle légendaire située au 64, boulevard de Clichy (18e). Créée en 1947 par Jacques Canetti, c’est dans cette salle que se sont produits de grands noms de la chanson française. Entièrement rénovée, elle a rouvert ses portes en 2009. Voir son site internet www.lestroisbaudets.com
[4] La loi de 1905 établit le principe de la laïcité et marque la séparation de l’église et de l’Etat.
[5] Lieu d’exposition dédié à la photographie présidé par Raymond Depardon.