La brasserie Barbès, le 5 mai 2015. Photo. Paris-Louxor (mise à jour, 05/05/2015)
Le rendez-vous a été pris au Mansart, le café de Pigalle que Jean Vedreine a ouvert il y a quatre ans et où il a forgé son expérience de cafetier parisien d’un nouveau genre. Sans être de la lignée des Auvergnats à Paris, Jean Vedreine, originaire du Cantal, incarne un type entrepreneurial. Son credo ? Racheter des affaires dans des quartiers en transformation pour en faire de nouveaux lieux. Il a ainsi accompagner le mouvement de revitalisation et de requalification des lieux de nuit à Pigalle, avec le Mansart donc, mais aussi le Sans-souci (1). Aujourd’hui c’est avec son associé Pierre Moussié, également propriétaire de cafés parisiens branchés, qu’il veut faire de Barbès son nouveau territoire.
Pour Paris-Louxor, Jean Vedreine nous livre sa vision de Barbès et du projet qu’il a concocté pour la brasserie qui gardera comme emblème le nom du quartier. Le toponyme est une véritable appellation.
Après la réouverture du Louxor-Palais du cinéma et désormais la brasserie, le carrefour Barbès renouerait-il donc avec son histoire ? C’est en effet un air « d’autrefois de toujours » qui souffle sur le quartier. Une logique de patrimonialisation bien contemporaine qui fait revivre des lieux emblématiques tout en s’intégrant à la dynamique propre au quartier, à sa dimension commerciale, à la foule qui le caractérise et au phénomène urbain qu’il incarne si bien. La brasserie devrait ouvrir ses portes jeudi 30 avril.
Comment êtes-vous arrivé à Barbès ?
Jean Vedreine : Cela faisait longtemps qu’avec mon associé, Pierre Moussié, nous regardions cet angle avec beaucoup d’intérêt, d’autant que ce carrefour est emblématique, à l’endroit même où nous avons construit la brasserie, se trouvait le Café Rousseau. Nous connaissions bien le Vano et son environnement de boutiques spécialisées dans la téléphonie mobile et les robes de mariées. A force de passer devant, en scooter, en voiture, on se disait que cette “dent creuse” était l’endroit idéal pour lancer une affaire et y monter un belle brasserie d’angle. Avec Pierre, on s’intéresse avant tout aux quartiers délaissés avec un bon potentiel. Nous avons une certaine expérience en la matière, mon associé a lancé Chez Jeannette, le Floréal, moi, le Sans-souci et le Mansart, dans des quartiers dans lesquels il n’y avait pas réellement d’offres. On aime bien être précurseur. Le projet nous a particulièrement enthousiasmé, car c’est l’un des derniers quartiers populaires où il est encore envisageable d’y bâtir quelque chose. C’est une superbe opportunité pour nous de pouvoir construire aujourd’hui, en plein Paris, une brasserie de cette taille-là à un carrefour comme celui de Barbès.
Comment s’est déroulé la reprise du lieu ?
Ce fut compliqué. Il y a eu tout d’abord ce malheureux incendie et ce n’est que deux ans après que l’on a pu racheter le fonds de commerce, cela a pris plus de temps que prévu. Ce gros incendie a causé des dégâts considérables qui ont eu pour effet de fragiliser principalement la structure, nous avons dû tout refaire de A à Z, tout ça a pris énormément de temps et d’argent. Il n’était pas envisageable pour nous de faire machine arrière. Ce fût un long chantier et l’on en voit enfin le bout aujourd’hui.
A quoi ressemblera la brasserie Barbès ?
A Paris, il y a la tendance des bistrots de chef, la Street food et au milieu, les intemporels… les brasseries. Je pense à la brasserie Wepler, à la Lorraine, ces vieilles brasseries parisiennes qui ont toujours traversé le temps, sans jamais avoir été branchées, sans être trop chics, mais toujours populaires. Des endroits où l’on peut manger sur le pouce ou s’offrir une assiette de fruits de mer à toute heure, c’est ça l’esprit brasserie. C’est pouvoir aller casser la croûte en sortant du Louxor où l’on trouve une chouette programmation, loin des blockbusters, c’est aussi boire un verre après une promenade en famille. Ce sera aussi un endroit où l’on pourra croiser des musiciens, qui, après un concert, pourront venir manger un morceau et boire un verre. Il y aura forcément de la musique à la brasserie Barbès, c’est une passion que nous partageons avec mon associé. Chez nous, on pourra venir comme ça, tranquillement, il ne sera pas nécessaire de réserver longtemps à l’avance comme cela arrive trop souvent dans les bistrots branchés parisiens, aujourd’hui quand on veut manger à dix, c’est la croix et la bannière, par exemple quand la famille monte à Paris, c’est toujours compliqué et on n’a pas trop le choix.
C’est l’avantage de la plupart des brasseries parisiennes…
Oui et c’est cet esprit là que l’on veut retrouver, comme jadis au Rousseau. Quand je vois les photos d’époque, c’était plein à craquer ! C’était il y a longtemps, cela n’a rien à voir avec ce que l’on peut connaître aujourd’hui.
Vous avez effectué des recherches sur l’époque, le café Rousseau, le Dupont, vous vous en êtes inspiré ?
Oui et non, mais il nous a semblé important de bien s’imprégner de l’esprit du lieu avant de l’investir. Ensuite, on va essayer d’y apporter notre savoir-faire, une bonne cuisine cool, tout en permettant de retrouver l’ambiance des brasseries d’époque. Pour nous il s’agit plutôt d’une mise à jour, à notre façon, de la brasserie telle qu’on la connaît et sans vraiment comparaison avec ce qui est fait aujourd’hui, même si l’on pense que tout est un peu poussiéreux et qu’il est temps d’apporter quelque chose de nouveau. C’est important pour nous que les gens puissent manger ou boire un café à n’importe quelle heure, sans contrainte.
À quoi ressemble la brasserie Barbès… on visite ?
Commençons par le sous-sol avec des toilettes réservés à la clientèle, un vestiaire-boutique avec une dame-pipi. C’est un petit détail qui a de l’importance pour nous. Été comme hiver, on est toujours embarrassé et l’on souhaite pouvoir déposer ses affaires en toute tranquillité. J’aime bien l’idée que l’on puisse aller au restau sans se préoccuper de ses affaires, si elles sont bien posées, s’il n’y aura pas de mains mal intentionnées ou autre. Là, on pourra déposer ses affaires et la personne en charge du lieu pourra également vendre des petites choses comme autrefois, deux, trois bricoles, au nécessaire de “premier secours”. Aujourd’hui, ce service a disparu, notamment en raison de la taille restreinte des établissements. On a la chance d’avoir de la place et c’est un service qui est proposé, pas forcé comme en boîte de nuit. C’est un petit détail sympa auquel on tient.
Au rez-de-chaussée, la brasserie, le restaurant avec un comptoir d’envoi, c’est à dire que pour boire son café, on s’installe à table. Pour ce qui est de l’office, nous disposons de notre propre chambre de pousse, d’un laminoir, nous fabriquerons notre pain, la viennoiserie et les feuilletages pour la cuisine, on proposera des fruits pressés à la minute.
Au premier étage, on a un salon cheminée, avec la partie restaurant, et ce sera la même carte qu’au rez-de-chaussée. Au centre de la salle, il y aura un comptoir avec bar à cocktail et de l’autre côté on pourra rejoindre le patio, un petit jardin d’hiver avec sa terrasse et une verrière qui s’ouvre. Au deuxième étage, un autre bar à cocktail un peu dancing, un lieu sympa avec une petite piste de danse, c’est la boîte dans la boîte ! (2) J’aime bien l’idée qu’après dîner on puisse monter à l’étage pour prendre un verre et s’amuser un peu, plutôt que de traverser Paris pour aller en soirée. Du deuxième étage, on peut accéder par un petit escalier au deuxième toit-terrasse qui servira de fumoir. Le mobilier a été fabriqué par la Maison Gatti (ici) qui fournit les terrasses parisiennes depuis les années 20. Tout le monde connaît leurs fameuses chaises bistrot (il attrape une chaise et nous montre le tressage, les finitions et la plaque en laiton sur laquelle est gravée le nom de l’enseigne) que l’on retrouve même jusque sur la terrasse du Chateau Marmont(3) à Los Angeles.
Vous avez conçu et imaginé la décoration ?
Oui, c’est une question qui nous intéresse naturellement, on voyage, on regarde ce qui se fait à l’étranger, on s’intéresse à la culture, à la musique. Notre métier c’est de vendre des saucisses et des demis, je grossis volontairement le trait, mais nous n’en sommes pas moins intéressés par l’image et la représentation du lieu. Les espaces ont été imaginés selon l’expérience que nous avons de leur fréquentation, de la circulation. Dès lors que nous avons un espace suffisamment grand il nous est plus facile d’imaginer tout cela. Par exemple, lorsque j’ai acheté le Sans-Souci, je voulais dès le départ mettre un baby-foot, mais je n’avais pas la place. Le problème s’est répété avec le Mansart, tant pis, je manque trois tables, mais je peux installer un baby bien qu’idéalement j’aurais aimé mettre un baby et un flipper.
Barbès vous donne l’occasion de réaliser ce que vous n’avez pas pu faire avant ?
Oui, c’est exactement ça, de plus Barbès, c’est Barbès ! Je suis tombé totalement amoureux du coin. Je ne sais pas comment cela va se passer, on verra bien, notre idée est de proposer quelque chose de nouveau. La police est très présente, on constate qu’il y a eu du changement depuis deux ans. Il n’y a quasiment plus de vendeurs à la sauvette devant l’établissement. Il y en aura toujours un peu, c’est comme ça. Je me souviens quand j’ai racheté le Sans souci, ce n’était pas facile au début, des mecs jetaient des canettes sur la façade, un mois après ça s’est calmé, doucement, sans qu’il y ait d’embrouilles. La brasserie sera un lieu ouvert et décontracté, ceux qui veulent venir pourront venir, sans problèmes. Un café, ce n’est pas une boite de nuit où l’on pourrait dire qui a le droit ou pas d’entrer, ce n’est pas notre rôle. Moi, j’aime bien l’idée que la clientèle se mélange, on n’est pas là pour changer le quartier.
Barbès a toujours fonctionné sur une accessibilité… c’était aussi un lieu où l’on trouvait pas mal d’Auvergnats, notamment à la Goutte d’or…
Exactement, ça a toujours été un lieu ouvert et l’habitant de Barbès est chez lui. Nous venons du Cantal, on est monté à Paris il y a douze ans. Il est vrai que c’est un quartier, comme tous les quartiers de bistrot, où l’on trouvait des Auvergnats, au Dupont Barbès (emplacement du magasin Tati NDLR) par exemple.
Vous avez eu des contacts avec les autres acteurs du quartier ?
Oui. Principalement avec le Louxor. On a eu l’occasion de les rencontrer, c’était très sympa, mais pour l’instant on n’a pas de projets communs, mais il est clair que l’arrivée d’une brasserie à Barbès va changer les choses, ce sera un nouveau lieu, ouvert le soir jusqu’à 2 heures du matin, où les spectateurs du Louxor pourront venir manger ou boire un verre. Il y aura forcément une dynamique commune.
Justement, quel est votre rapport au cinéma ?
Pour être tout à fait honnête, je suis plus passionné par la musique que par le cinéma, pour des raisons essentiellement liées à mon activité, mais je m’y intéresse suffisamment pour me rendre compte que la programmation du Louxor est de qualité et qu’elle fonctionne bien avec mes goûts musicaux, l’atmosphère qu’elle dégage, je pense aux vieux films ou aux films Art et essai.
Vous avez un objectif pour la brasserie Barbès ?
Un objectif ? Notre objectif est de lancer une affaire pérenne, on n’est pas venu pour faire un “coup”. L’objectif, s’il y en a un, est de la garder au moins 30 ans !
La brasserie s’appellera “brasserie Barbès” ?
On a pour habitude de ne pas dénommer un navire car le plus souvent les noms sont géniaux ! À une exception près, quand les noms sont trop compliqués, ce fut le cas de l’Oustal du Clos Saint-Martin que mon associé a rebaptisé le Parisien, mais le Floréal, le Mansart, s’appelait ainsi, tout comme le Sans-souci, avec Mémé Guerini, propriétaire depuis 1932. Quel intérêt cela aurait de changer le nom ? Pour la brasserie Barbès, ce sera “Barbès”, c’est fort Barbès, cela représente tellement de choses. Demain on dira, “je bois un coup à Barbès”, où “au Barbès”. Pour beaucoup ce sera une évidence.
___
1. Avant d’être un bar branché, ce fût le lieu d’un roman : La passante du Sans-souci de Joseph Kessel (1936). La vie tourmentée d’une réfugiée allemande fuyant le nazisme dans la France d’avant-guerre. Jacques Rouffio l’adapta au cinéma en 1982 avec e.a. Romy Schneider, Michel Piccoli et Gérard Klein.
2. Il est intéressant de noter qu’en reprenant l’expression la “boite dans la boite”, Jean Vedreine fait écho, avec une toute autre approche, au principe utilisé au Louxor pour insonoriser et protéger des vibrations du métro la grande salle principale.
3. un hôtel restaurant branché “à la française” construit dans les années 20 sur le modèle dit-on des châteaux de la Loire., Sophia Coppola y tourna son film “Somewhere”.