C’est grâce au travail du spécialiste du cinéma muet, Jacques Poitrat [1], que nous pouvons aujourd’hui publier ces informations, jusqu’ici introuvables, sur l’inauguration du Louxor, enfin ! Le tout livré et détaillé dans deux articles datés des 7 et 9 octobre 1921.
La découverte est à la hauteur, le programme de l’inauguration est littéralement fantastique ! Jugez plutôt, À quatorze millions de lieues de la Terre (1918) du réalisateur danois Holger-Madsen, un film de science-fiction pacifiste d’après-guerre, considéré comme le premier space-opera -il fut certainement du plus bel effet au Louxor avec ses 14 mètres sous plafond !- puis Métempsycose (1920) d’Edward Sloman d’après un roman de Jack London (Le Vagabond des étoiles). Ensuite, pause avec les fameuses actualités filmées, Gaumont-Actualités et Pathé Revue, et deux petites comédies gaies Pour un corset d’Arvid E. Gillstrom et Lui, sur roulettes avec Harold Lloyd. Nous reviendrons en détail sur cette programmation très prochainement.
Une partie du mystère de l’inauguration du Louxor est levée, il ne reste plus qu’à connaître désormais le déroulement de la soirée. Espérons que la trouvaille sera tout aussi exceptionnelle que le programme qui nous est aujourd’hui permis de découvrir !
Inauguration du cinéma le Louxor, jeudi 6 octobre 1921.
Orchestre (20 musiciens et un orgue électrique Abbey) sous la direction de M. Rémond.
BONSOIR, JOURNAL RÉPUBLICAIN DU SOIR AU LOUXORUn nouveau cinéma est né en plein quartier Barbès, et nous ne pouvons que nous en réjouir : n’est-ce pas le moyen le plus sûr de diffuser nos productions et d’étendre le champ d’action du cinématographe ? La salle Louxor que M. Henry Silberberg fit construire au coin du boulevard Magenta et du boulevard de la Chapelle, est entièrement en ciment armé. Elle a été décorée avec goût par M. Amédée Tiberti qui s’est inspiré des antiquités égyptiennes du Louvre et a donné à la salle Louxor un aspect original et nouveau. Ce cinéma est spacieux, luxueux, bien aéré ; les fauteuils y sont confortables. Un orchestre, conduit par M. Rémond, est composé d’éléments fort intéressants. Nous ne doutons pas du succès de cette nouvelle salle où seront projetés les meilleurs films français et étrangers. *** Un film de la Nordisk, À quatorze millions de lieues de la terre, était au programme. Il y a la base de ce film une idée audacieuse et intéressante, mais il était dangereux de s’engager dans des voies méconnues, qui nécessitent le déploiement de toutes forces de l’imagination. L’Excelsior, partant pour découvrir la planète Mars et y atteignant, nous jette dans la fiction la plus complète à laquelle les auteurs pouvaient donner milles formes. Ils nous ont montré les Martiens, très semblables aux habitants de la Terre ; ils ont fait régner la paix chez Mars ; nous avons vu les hommes pacifiques, les femmes aimantes ; les passions et les désirs ne troublent plus leur vie. Tout est bien dans ces régions inexplorées. On pourra reprocher à ce film de n’être pas assez fantastique et irréel et au principal interprète d’être trop influencé par le théâtre. Certaines scènes sont d’un tragique émouvant ; la photographie est bonne et, seules, l’intrigue et la fiction auraient pu être autrement imaginées. On a extrait du roman de Jack London : Métempsychose. Y avait-il là une matière cinématographique suffisante pour transposer à l’écran l’œuvre du célèbre écrivain ? C’est assez discutable. Le dogme de la transmigration des âmes n’intéresse qu’une faible partie des humains et le cinématographe ne peut vivre de mouvement intérieur. C’est pour cela, peut-être, que ce film paraît ennuyeux à certains moments. Les vies antérieures de William Lodge sont évoquées avec relief et les tourments que lui fait subir l’inspecteur de police sont propres à réveiller ses âmes anciennes. Nous le trouvons tour à tour captif d’un barbare du Nord et supplicié dans le céleste empire. Il peut, grâce à la métempsychose, révéler le nom des coupables. Une histoire d’amour, greffée sur ce sujet, donne de la vie et de l’attrait au film, dont l’interprétation est excellente et la photo inégale. Pour un corset, est une comédie gaie, jouée avec légèreté et qui ne manque pas de qualités comiques. Le mouvement est rapide, le scénario est bien découpé et, de l’ensemble, se dégage une note très amusante. Ce film qu’interprétait Betty Green Eyes, a beaucoup plu au public. Il est vrai que ce genre de films est rarement bien réalisé et nous n’avons pas trouvé, en France, la clef de ce problème. Lui, sur les roulettes, est une fantaisie comique dans laquelle Harold Lloyd dépense le meilleur de son talent. Tout le monde connaît l’homme aux lunettes d’écaille dont on rencontre quelques sosies sur le pavé parisien, et qui fait la joie de toutes les salles de cinéma. Le Louxor a fait de très jolis débuts. Auguste Nardy Bonsoir, journal Républicain du soir, n° 979, Dim. 9 octobre 1921, n. p. [p. 4] |
BONSOIR, JOURNAL RÉPUBLICAIN DU SOIR INAUGURATION DE LA SALLE LOUXORCe soir jeudi, M. Henry Silbeberg offrira à ses nouveaux invités une soirée de gala pour fêter l’ouverture de la nouvelle et somptueuse salle Louxor, qu’il a fait édifier au coin du boulevard Magenta et du boulevard de la Chapelle. Tous les jours, matinée et soirée, les 1800 places de Louxor seront accessibles au public parisien qui, avant peu, classera Louxor parmi les salles cinématographiques où, dans un luxe confortable, il sera certain de voir les plus beaux films et d’entendre la meilleure musique. Auguste Nardy Bonsoir, journal Républicain du soir, n° 977, Vendredi 7 octobre 1921, encadré |
[1] Cinéphile, passionné de cinéma muet et collaborateur d’ARTE, rencontré il y a quelques années lors de l’organisation d’une soirée-projection de la version teintée et virée de la so-called : 1917 director’s cut d’Intolerance version inédite telle que montée par D.W. Griffith en 1917, organisée par ARTE et les Cahiers du cinéma.