PARTAGER LE CINÉMA avec CHRISTOPHE PETIT

Entretien avec Christophe Petit, gérant du Vidéo-club de la Butte (18e)

Si l’envie vous prend de voir un film à 22h, vous pourrez grimper jusqu’à Montmartre… vous y trouverez certainement votre bonheur. Christophe Petit tient depuis près de 10 ans, avec sa femme Céline et son frère François, le vidéo-club de la Butte. Ce n’est pas une petite boutique comme les autres, le vidéo-club reste l’un des rares lieux où l’on prend le temps de s’arrêter un instant pour parler cinéma. On y croise nombre de cinéphiles en quête d’une découverte, d’un conseil et c’est bien ce qui fait la spécificité de l’endroit, on ne vient pas ici par hasard. Curieux de l’arrivée du Louxor, ils savent que ce supplément de culture et de cinéma sera profitable à l’ensemble des acteurs culturels et habitants des trois arrondissements alentour. Reste au Louxor à trouver sa place et devenir à son tour un lieu d’échange et de rencontre, un lieu vivant, ouvert sur le monde, la ville et le cinéma.

Présentez-nous le Vidéo-club de la Butte…

Le vidéo-club a fêté ses 30 ans en 2010, à l’origine il s’appelait SOS K7. Le propriétaire de l’époque livrait les cassettes, essentiellement du X, à domicile avec sa mobylette. Cette affaire n’a duré que trois ans et a été revendue à un couple de cinéphiles. Les années 80, c’était l’âge d’or des vidéo-clubs, c’est à cette époque que le fond s’est constitué. Ensuite l’affaire a été revendue, puis nous avons repris le vidéo-club au tout début des années 2000 avec l’arrivée du DVD. Quand on a repris le magasin, il y avait 1 500 DVD et 10 000 VHS, à l’heure actuelle il y a 10 000 DVD et 5 000 VHS.

On vous loue encore des VHS ?

Oui, surtout des films qui n’existent pas en DVD ou que l’on arrive pas à se procurer avec des droits locatifs. A chaque nouvelle génération de support on perd des films. Au passage de la VHS au DVD on a pu avoir accès à des films qui n’avaient jamais été édités en cassette et en même temps on a perdu plein de films qui n’ont jamais été réédité en DVD, la question sera la même avec les supports HD comme le Blu-Ray, et ainsi de suite. Du coup, nous conservons ce qui n’est pas réédité.

Comme le libraire avec les livres, l’exploitant avec sa programmation de films, vous faites un travail de prescription et de proximité, comment travaillez-vous ?

Pour schématiser, il y a deux sortes de vidéo-clubs, les chaines et les indépendants, et chez les indépendants il y a, comme dans les cinémas, des gérants qui sélectionnent des films d’auteurs très pointus, pour qui même les films de Spike Lee sont des blockbusters. Nous ne fonctionnons pas comme ça, nous essayons d’avoir un maximum de films, y compris les films à succès. Notre limite se situerait à OSS 117, nous proposons des films d’auteurs aux films pointus et pour chaque réalisateur l’idée est d’avoir les incontournables. On ne peut pas avoir tous les films de Lumet ou de Coppola. Pour certains réalisateurs on peut y arriver, l’idée étant d’avoir les plus importants de manière à ce qu’une personne souhaitant découvrir un réalisateur puisse mettre un premier pied dans la cinématographie de l’auteur, ensuite, s’il veut aller plus loin il a la possibilité d’avoir l’essentiel de son travail. Un gamin pourrait avoir envie de voir un Hitchcock ou un Truffaut puis passer à OSS 117, nous les premiers, parfois on souhaite passer une bonne soirée à regarder un film facile et le lendemain avoir envie de regarder un Bergman avec tout autant de plaisir. Mais n’avoir que des Bergman dans le quartier cela n’aurait pas de sens, ce qui nous importe c’est d’être ouverts et attentifs aux habitudes des clients. Nous faisons le même travail qu’un libraire. Le vidéo-club de la Butte est un lieu de vie. On est ouvert 7 jours/7, de 14h à 23h, le magasin n’a pas fermé depuis 30 ans, qu’il pleuve ou qu’il vente, il reste ouvert, même pendant les fêtes, vous êtes seul un soir, vous pouvez passer nous voir on sera toujours là pour vous conseiller un bon film.

Quelle est votre clientèle ?

Nous avons essentiellement un clientèle de quartier, des habitués. Cela s’explique par le principe même du vidéo-club qui est de rapporter le film. La distance est le principal frein. Forcément, lorsqu’il faut rapporter les films et que le vidéo-club est à une heure de chez vous, ce n’est pas très engageant, toutefois on commence à avoir des clients qui viennent de loin, tout simplement parce que nous avons des films qui ne sont plus édités en DVD, ces clients vont faire l’effort de venir jusqu’à nous… ce sont avant tout des passionnés. Nous louons une centaine de DVD par jour, c’est très fluctuant selon les périodes, les jours de la semaine…

Quels sont les films les plus demandés ?

Les nouveautés et les fonds de catalogue. Les grands réalisateurs américains, italiens, français. Ensuite, une partie de notre clientèle vient pour des films plus pointus, peu connus. On a toujours un problème pour se procurer les films compte tenu des droits locatifs, on ne peut malheureusement pas aller aussi loin en terme de choix que l’on souhaiterait.

Vous pouvez nous rappeler le principe du droit locatif ?

Au lieu d’acheter un film comme tout un chacun 10 ou 20 € nous le payons 50, l’éditeur prend une part sur les futures locations. On ne peut pas tout mettre en location, seul l’éditeur décide de ce qui peut être mis en location, sinon nous aurions beaucoup plus de films. Si demain le droit locatif n’existe plus et que l’on nous propose de louer l’ensemble des films, il est clair que l’on aura dix fois plus de films que nous n’en avons aujourd’hui.

VOD, téléchargement illégal, comment faites-vous face aux nouveaux usages ?

C’est avant tout une question d’offre et de service. Nous avons 15 000 titres ce qui n’est pas le cas des plateformes VOD et surtout nous donnons des conseils. À l’heure actuelle, la seule chose que propose internet c’est de la vente additionnelle sans réflexion, c’est comme ça que cela fonctionne. Souvent les parents nous envoient leurs enfants pour qu’on les accompagne dans leur choix. Ils vont découvrir Eastwood, puis vont s’intéresser aux Westerns, puis à Sergio Leone et ainsi de suite. Nous pouvons les accompagner, les aider, ce que ne peut pas faire la VOD hors d’un schéma uniquement marchand. Il y a aussi la question du tarif, on est moins cher que la VOD, pour moitié ce sont des films en VF et le système est parfois instable avec le risque de ne pas voir le film en entier et au bout de 24h. le film s’efface du disque dur. Dans notre vidéo-club, on peut s’arranger si la personne souhaite le garder plus longtemps, le film existe en V.O. et dispose des bonus, c’est un tout autre chose. La VOD ne nous fait pas franchement peur, on sait qu’un jour ou l’autre elle va exploser mais cela reste un service contre lequel on peut se défendre, la concurrence est loyale. Contrairement au téléchargement illégal avec lequel la situation est beaucoup plus difficile. Les films sont accessibles gratuitement, même si le film est mauvais, celui qui l’a téléchargé ne l’a pas payé.

Quelles relations entretenez-vous avec le monde du cinéma dans le quartier ?

Nous avons une clientèle de cinéphiles, dont certains sont des professionnels du cinéma, des réalisateurs… Nous n’avons pas de relations particulières avec les salles de cinéma, si ce n’est peut être avec le Studio 28, il nous laisse son programme sur le comptoir et nous déposons quelques catalogues chez eux. Il est vrai que l’on pourrait entretenir des relations plus étroites, il y a toujours eu cet écart entre le cinéma et la vidéo, bien que cela ait tendance à se réduire. Les seuls vidéo-clubs ayant réussi à entretenir une relation durable avec le monde du cinéma ce sont des vidéo-clubs du type Vidéosphère (5e) dont les membres travaillaient dans le cinéma.

Vous connaissez le Louxor ?

Je n’ai malheureusement pas connu le Louxor en tant que salle de cinéma. Je l’ai connu vraiment par hasard par un ami journaliste qui connaissait une sorte de “gardien de nuit”. Ce “gardien” nous a permis d’accéder au studio de répétition du Louxor. La salle était tellement belle de l’extérieur que je n’ai pas hésité à aller la visiter quand l’occasion s’est présentée. J’y suis allé un soir pour découvrir le lieu, il faisait nuit  je l’ai visité avec une lampe torche, je connais plus les sous-sols que la salle elle-même. C’est une pratique très courante de visiter des lieux abandonnés, il y a des passionnés certains prennent des photos, collectionnent. Lorsque la Loco (boîte de nuit attenante au Moulin rouge, aujourd’hui “La Machine” ndlr) s’est construite, j’ai eu la chance de visiter le chantier et d’accéder à la salle de cinéma du Moulin rouge, elle était intacte, c’est désormais un plateau de télévision.

Que pensez-vous du retour d’une salle de cinéma à Barbès ?

Cela ne peut être qu’une bonne chose. Cela va créer un effet dynamique, plus on va au cinéma plus on a envie de cinéma. À une époque les éditeurs pensaient que la location de films cannibaliserait les ventes de DVD, c’est tout le contraire. Celui qui aime le cinéma, va au cinéma, achète des DVD, loue des films, achète des revues de cinéma etc. L’ouverture d’une salle de cinéma contribuera à augmenter le désir de cinéma, on n’a pas encore d’idées mais peut être qu’une fois que le Louxor sera ouvert des ponts pourront se construire. C’est bien que ce soit une salle de cinéma classée art et essai, ce sera l’occasion de mettre en avant des films du patrimoine, de montrer des cycles mais il faudra accompagner ces films de manière à ce que le plus grand nombre puisse les découvrir. Il n’y pas pas de raison que cela ne marche pas.

C’est une chance d’avoir une salle supplémentaire, le Louxor, le Studio 28, le Cinéma des cinéastes, le Wepler… tous n’ont pas la chance d’avoir des salles à proximité, beaucoup de salles n’existent plus, en face du vidéo-club il y a un Franprix… à l’origine c’était un petit théâtre ! C’est incroyable le nombre d’anciens théâtres, de salles de cinéma qu’il y avait dans le quartier, la plupart sont devenus des supermarchés.

François (frère de Christophe) : Rue marcadet, il y avait une grande salle de cinéma le “Marcadet Palace”, à l’emplacement actuel d’un supermarché. Cette salle accueillait les patronages le jeudi. Je l’ai bien connue, j’y allais enfant dans les années 70, elle a été détruite depuis. C’était un quartier dans lequel il y avait beaucoup de cinéma, je me souviens avoir vu Ben-hur au Gaumont Palace, cette salle était vraiment incroyable, on pouvait même y dîner, il y avait des attractions…

Christophe : …oui, elle possédait un orgue monumental, il est aujourd’hui à Pleyel…

Si vous deviez nous citer trois films… quels seraient-ils ?

Christophe : Bouge pas, meurs, ressuscite (1990) de Vitali Kanevski

François : L’Atalante (1934) de Jean Vigo

Céline : Locataires (2004) de Kim ki-duk

Ces trois films sont représentatifs de nos goûts. A priori, on pourrait considérer que tout le monde ne peut pas voir ces films jugés par certains pointus voire très pointus, mais en les accompagnant, en les conseillant, ces films peuvent être parfaitement vus par tout le monde. Il s’agit pour nous d’expliquer le travail du réalisateur, des acteurs etc. Cela résume bien notre démarche. Nos clients viennent pour ça, rares sont ceux qui prennent un film et repartent aussitôt, ça arrive avec les amateurs de séries TV, ils prennent la suite et repartent, la plupart restent pour discuter, échanger, ils attendent des conseils.

Conseil du mois : Submarino de Thomas Vinterberg, Welcome to the Rileys de Jake Scott, Soul Kitchen de Fateh Akin et Angèle et Tony d’Alix Delaporte.

Le + : La devanture du vidéo-club de la Butte a été reproduite dans le décor de l’Usine de films amateurs de Michel Gondry au Centre Pompidou. (ici)

Merci à Marc Belli, Michel Gondry et Frédéric Poletti.


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Laurent Laborie

Laurent Laborie est président de PARIS-LOUXOR.