Auberge, Caf’ Conc’ puis salle de spectacle avant de devenir cinéma, aujourd’hui en vente, la Scala se cherche un nouvel avenir. Rencontre avec le producteur Maurice Tinchant.
La Scala, une salle parisienne
C’est en 1787 qu’ouvre, au 13 boulevard de Strasbourg, l’auberge du Cheval blanc. La modeste auberge devient rapidement une guinguette courue et l’on traverse Paris pour écouter, sous les tonnelles, les apprentis chanteurs venus gagner quelques pièces et un bon repas chaud. Bien que la sympathique gargote fasse briller quelques casseroles, sa réputation va grandissant dans les faubourgs, et c’est en 1857, sous le nom de “Concert du Cheval blanc” qu’elle compte désormais dans le Paris de la chanson populaire. C’est l’un des tout premiers Caf’ Conc’ de la capitale. Détruite en 1874, l’auberge cède la place à une salle de spectacle “La Scala”, en référence au célèbre opéra de Milan.
A grande salle, grand nom, telle est son ambition. Avec ses 1400 places, la Scala compte devenir une salle de music hall des plus réputées et rivaliser notamment avec son encombrant voisin L’Eldorado. Pour cela, elle prévoit de s’appuyer sur une riche programmation autour d’une troupe d’artistes aux différents talents, chanteurs, danseurs, comiques troupiers, chansonniers, comédiens, fantaisistes etc. La Scala parisienne se différencie bien de son éminent homonyme transalpin, la confusion n’est pas de mise. L’entreprise gagne ses galons, une dizaine d’années plus tard, sous l’impulsion de nouveaux propriétaires, le couple Allemand, aidé de leur gendre Marchand à la direction artistique. La Scala devient une salle fréquentée par le Tout-Paris, on loue la richesse des décors et la qualité des prestations. Dranem, Felix Mayol, Mistinguett, Fréhel et l’incontournable Maurice Chevalier, pour ne citer qu’eux, s’y distingueront. Ce haut lieu de la chanson et de l’attraction décline dans les années 20, il tente alors de se relancer en devenant « La Nouvelle Scala ». On y joue des vaudevilles de Feydeau, Raimu dit-on s’y produit, mais les spectacles proposés ne sont plus en vogue car le public s’est épris, depuis quelques années déjà, de cinéma. La concurrence est rude. L’arrivée du parlant au début des années 30 achèvera définitivement l’aventure, après maintes tentatives pour renouer avec le succès (cf. programme 1930), les propriétaires du music hall cèdent la salle à un exploitant de cinéma. Rideau.
La Scala lors de sa réouverture en 1936 / Page de garde des plans de l’architecte Maurice Gridaine. Coll.M.T.
Du music hall au cinéma
La Scala, nouvelle salle de cinéma parisienne, ouvre le 30 juin 1931 avec à l’écran “La Fille du Bouif” un film du metteur en scène et parolier René Bussy. La salle dispose de 1200 fauteuils, les Parisiens apprécient la nouveauté et, clou du spectacle, le toit s’ouvre aux entractes afin de permettre aux spectateurs de fumer leur cigarette ou tout simplement d’admirer le ciel de Paris. Mais le cinéma connaît à son tour des déboires, endetté, il est revendu, détruit, puis reconstruit par Maurice Gridaine. Un architecte sans doute choisi par le nouvel exploitant Monsieur Roux (également propriétaire du Ciné-Vivienne et du Helder à Paris), pour avoir réalisé 4 années auparavant, une autre salle non loin de là, l’Ornano*, bien connue pour sa façade Art déco à l’allure de paquebot. Le nouveau cinéma est inauguré le 10 décembre 1936 avec au programme « Un mauvais garçon » un film de Jean Boyer [cinéaste et chansonnier, auteur notamment de la célèbre chanson du film "C'est un mauvais garçon" (ici)] avec Henry Garat et Danielle Darrieux, un documentaire sur les oiseaux et un dessin animé en couleurs : « Badinage ». « Un gala très élégant a été donné pour l’inauguration » nous rapporte Le Courrier cinématographique, la semaine de l’ouverture. Le nouveau cinéma permanent, ouvert de 14h à 2h du matin, est doté d’un grand balcon dans une salle qui fait désormais 1000 places pour une hauteur de 25 mètres (contre 14 mètres pour le Louxor). Le plafond reprend un ciel de nuit étoilé. La décoration est soignée, dans le pur style Art déco. Ouvert sur la ville grâce à sa grande baie vitrée, le hall dispose de miroirs et d’éclairages aux formes géométriques. La Scala est un cinéma bien connu des Parisiens et des habitants du quartier. Le 10e arrondissement compte alors une trentaine de salles. Le cinéma poursuit une exploitation proche de celle de son illustre voisin le Louxor, il projette des films français, populaires, aux films américains avant de passer au film de genre, Westerns, Kung-fu etc. pour finir par devenir le plus grand cinéma porno de Paris. La Scala est alors transformée en 1977 en un multiplexe de 5 salles, elle ferme définitivement ses portes en 1999. Le producteur Maurice Tinchant décide alors d’acquérir la salle…
RETOUR À LA SCALA AVEC MAURICE TINCHANT
Maurice Tinchant est publicitaire, producteur (Rivette, Akerman, Carax etc.), distributeur de films et organisateur des mythiques soirées d’après projections du Festival de Cannes. Enfant de Belleville et de Ménilmontant, il fréquentait les salles de son quartier, depuis, le cinéma ne l’a jamais quitté. A la fin des années 90, il rêve d’acquérir une salle de cinéma. Ce sera La Scala dans le 10e arrondissement. La plus grande salle X de Paris est à vendre, mais l’affaire est compliquée, une secte surenchérit avec pour projet d’y installer un temple. Maurice Tinchant alerte les pouvoirs publics, mobilise la Ville de Paris, les associations du quartier et le monde du cinéma. En octobre 1999, l’affaire lui échappe sans que l’équipe de la Ville de Paris de l’époque n’ait pu s’opposer à son acquisition par la secte. Le permis de construire est toutefois bloqué et par la suite conditionné à la présentation d’un projet de reprise à vocation culturelle. La Scala est aujourd’hui l’un des rares cinémas fantômes de Paris doté de plusieurs salles, dans un quartier très dynamique du 10e arrondissement, ce qui rend l’affaire particulièrement attrayante. Remis en vente, ce sont aujourd’hui, selon nos informations, des entrepreneurs de salles de spectacle et de théâtre qui s’y intéressent. Le prix est élevé : 5 millions d’euros et les travaux de rénovation à prévoir sont importants. Maurice Tran Trong Tinchant revient pour la première fois sur sa tentative de rachat de La Scala.
Comment avez-vous rencontré le cinéma ?
Lorsque j’étais gosse j’habitais au métro Couronnes. La Scala n’était pas une salle que je fréquentais particulièrement, j’y suis allé quelques fois, sans plus. Mes cinémas se trouvaient à Belleville et à Ménilmontant où j’ai passé mon enfance. Elles avaient pour nom le Cocorico, le Belleville et le Florida, j’y allais surtout voir des Westerns. Ces salles sont aujourd’hui des supermarchés… Ma famille de naissance vivait modestement à Ménilmontant, j’ai eu le bonheur d’avoir une marraine qui travaillait dans le cinéma, c’était la patronne de mon père, un cuisinier vietnamien, mon nom de naissance est Tran Trong. J’ai souhaité par la suite prendre le nom de Tinchant, celui de ma marraine. C’est elle qui m’a donné goût au cinéma, lorsqu’il a fallu choisir un métier, je n’ai pas hésité, j’ai préféré le cinéma à la cuisine !
Après avoir été assistant chef de pub, j’ai créé ma propre agence de publicité spécialisée dans le cinéma indépendant. J’ai travaillé avec les plus grands distributeurs de films d’auteurs, Karmitz, Dauman, Frédéric Mitterrand. J’ai ensuite développé mes activités dans le domaine culturel. Je me suis occupé de la régie publicitaire cinéma de Pariscope, puis j’ai créé la régie pub culture de Libération en 1982. J’ai fondé une société de production puis de distribution et au milieu de toutes ces activités j’ai organisé de grandes fêtes à Cannes et à Paris, c’est comme ça que j’ai créé la fête du cinéma pour Jack Lang en 1985.
Il ne vous manquait qu’une salle de cinéma…
Oui, j’ai toujours rêvé d’avoir une salle de cinéma, j’ai produit plusieurs films tournés vers la question sociale (LIP l’imagination au pouvoir, Sur la piste de Carla etc. NDLR), donc, porteurs de débats. Je me voyais bien animer des débats sur ces films dans ma salle. Je suis autant à l’aise avec le strass et les paillettes qu’avec les sujets de société. Lorsque j’ai appris en 1999 que La Scala était à vendre je m’y suis intéressé car elle disposait de plusieurs écrans, 5 salles (255, 320, 168, 95 et 98 fauteuils) réparties sur 1800 m2. J’avais pour projet d’y installer un grand espace pour le cinéma indépendant à Paris (en partenariat avec la SRF, l’ACID et le CCAS NDLR). J’ai visité d’autres salles, mais elles ne me convenaient pas, Le Cosmos (aujourd’hui l’Arlequin NDLR), le République (aujourd’hui un Dancing le “Rétro République” NDLR), j’ai même visité le Louxor avec Fabien Ouaki, il avait de grands projets pour sa salle, un restaurant, une galerie commerciale (le projet “TATI art” NDLR)… Je ne souhaitais pas m’investir sur un seul écran, il fallait nécessairement que la salle dont je cherchais à me porter acquéreur ait plusieurs écrans, car économiquement ça n’aurait pas été viable. Il me fallait une affaire qui puisse tenir, j’avais plusieurs sociétés à gérer et je ne pouvais pas me permettre de prendre des risques inutiles.
En 1999, La Scala est à vendre…
En janvier 1999, je lis dans le Film Français que la salle du 13 bd de Strasbourg est à vendre. J’appelle le promoteur qui me fait aussitôt visiter le cinéma avec le propriétaire, M. Ossona, à l’époque c’était une très grande salle porno. Je l’ai donc visitée le 11 janvier 1999, à l’ouverture des grilles à 14h, ce lieu était invraisemblable, on y croisait de drôles de personnages, je me souviens d’autant plus de cette première visite car un jeune homme tapinait dans la salle…
Emballé par la visite du lieu, j’invite alors le responsable du cinéma de la direction des affaires culturelles à la Ville de Paris à s’y rendre car je souhaitais que la Ville s’implique dans ce rachat. Le responsable la visite avec moi, j’informe aussitôt le maire du 10e Tony Dreyfus de mon intention et fais une proposition au promoteur. L’intérêt du projet de rachat résidait dans le fait que l’on pouvait se rendre propriétaire des murs ce qui n’est pas toujours le cas dans le cadre de projet de reprise. Je propose 10 millions de francs (1,5 millions d’euros), le propriétaire me rappelle quelques jours après afin de m’informer qu’un acquéreur, sans que sa qualité ne soit mentionnée, lui propose une somme plus importante : 12 millions de francs. N’étant pas en mesure de surenchérir, je renonce.
J’apprends peu de temps après que l’acquéreur n’est autre qu’une secte, l’Eglise Universelle du Royaume de Dieu, et qu’elle a le projet d’y installer un temple. J’informe aussitôt le maire du 10e et la Ville de Paris de la nature du repreneur. En février 2000, Le Figaro publie un article sur le rachat puis France 2 diffuse un “Envoyé Spécial” dans lequel on apprend que la secte dispose d’énormes moyens en Europe et au Brésil. Le reportage est édifiant sur leurs activités. La mairie du 10e organise dans la foulée un rassemblement devant la salle, des maires y participent, et le candidat à la mairie de Paris, Bertrand Delanoë, s’intéresse à mon cas et envisage que je puisse reprendre la salle. En mars, c’est au tour d’autres associations du quartier de se rassembler, dont l’association des Grands boulevards dont le Rex fait partie. J’apprends par la suite que le promoteur est lié à la secte et je comprends en partie la difficulté pour moi d’en être acquéreur.
C’est à ce moment là que vous organisez la mobilisation pour sauvegarder La Scala…
En mai 2000, nous créons pendant le Festival de Cannes une association de défense du lieu et ouvrons un site internet. Une pétition de 800 noms, pour l’essentiel du monde du cinéma, est adressée au maire de l’époque Jean Tibéri. Le maire refuse alors l’octroi du permis de construire à la secte pour la transformation de la salle, quelques travaux sont toutefois entrepris. Le 27 juin 2000, une nouvelle manifestation de cinéastes et de professionnels du cinéma est organisée devant La Scala avec la SRF et nous nous rendons, avec le petit train que j’avais loué pour l’occasion, au ministère de la culture pour la soirée d’ouverture de la Fête du cinéma.
Vous avez renoncé à votre projet de reprise ?
La salle a été vendue à la secte et faute d’avoir obtenu les permis de construire de la Ville, qui s’y est toujours opposé, le lieu est resté en déshérence, j’ai appris il y a 5 ans dans un article du Parisien, que la salle était de nouveau à vendre. Cette histoire ne m’intéresse plus, je suis passé à autre chose, racheter La Scala demande une énergie colossale, il ne reste plus rien de la salle, le lieu est vétuste pour ne pas dire épouvantable, mais c’est un formidable espace dans un quartier de Paris qui bouge beaucoup et où il y a peu de cinémas.
A noter : Malgré nos demandes répétées, l’actuel propriétaire du lieu, le mouvement sectaire « L’Eglise universelle du royaume de Dieu » a refusé toutes nos demandes de visite de la salle. L’EURD est mentionné dans le rapport de la Commission d’enquête sur les sectes de l’Assemblée nationale, enregistré le 22 décembre 1995 (ici).
Le + : A découvrir, l’un des derniers programmes de la salle de spectacle : La Scala (1930). (cliquez)
Etude de reprise, indépendante du projet de Maurice Tinchant, réalisée par l’architecte Frédéric Bezard (ici) http://fredericbezard.wordpress.com/projets/cinema-alternatif/
*Ornano 43, 43, boulevard Ornano dans le 18e arrondissement. C’est aujourd’hui un supermarché.
Sources : Guide Baedeker de Paris (1907), Bulletins municipaux de la Ville de Paris, « Music hall et café concerts A. Sallée et Ph. Chauveau, Bordas (1985), La Cinématographie française et Le Courrier cinématographique (1931-1936), Louis Sidney, Annuaires du cinéma. Merci à Frédéric Taillandier pour le programme de la Scala. Merci à Valérie Abrial et Dominique Blattlin.
MAJ : 16/09/2016, mise à jour de la date de l’inauguration après consultation du carton d’invitation (le 10/12 et non 18/12).
Retrouvez la Scala sur notre carte « Cinémas de Paris » (ici). Cliquez sur + pour zoomer.
Afficher PARIS-LOUXOR. Salles de cinéma de Paris d’hier et d’aujourd’hui sur une carte plus grande
Bonjour, vous avez écrit : « Un architecte sans doute choisi par le nouvel exploitant Monsieur Roux (également propriétaire du Ciné-Vivienne et du Helder à Paris), »
Le nom du nouvel exploitant n’était-il pas plutôt Roger Rousset ?… Il fut aussi propriétaire du cinéma « Le Régent » à Neuilly-sur-Seine.