A quoi ressemblent les spectateurs du Louxor, qui sont-ils ? Karen Assayag et Quentin Houdas proposent jusqu’au 31 octobre prochain de réaliser le portrait des spectateurs du Louxor dans le Salon, au deuxième étage du cinéma du carrefour Barbès. Pour les personnes munies d’un billet, il vous est proposé de réaliser votre portrait et de contribuer ainsi à la galerie des spectateurs qui sera présentée au Salon du Louxor du 15 novembre au 31 décembre prochain. Rencontre avec la photographe Karen Assayag.
Comment s’est effectuée la rencontre avec le Louxor et en quoi consiste votre projet ?
J’habite le quartier depuis quelques années, je croise donc quotidiennement le Louxor. J’avais vu la toute première exposition photo au Louxor réalisée pour son ouverture [1], le Salon me plaisait beaucoup, j’ai alors proposé à Emmanuel Papillon, le directeur du Louxor, d’installer un studio éphémère au 2ème étage. J’ai eu envie d’exploiter ce lieu calme et trop peu fréquenté. L’espace est magnifique et l’idée de le faire vivre avec une galerie de portraits de spectateurs me plaisait énormément. Le projet consiste donc à réaliser le portrait de spectateurs du Louxor, avant et après les séances. Je souhaitais contribuer, à ma manière, à cette renaissance du cinéma à Barbès et créer un événement autour du Louxor afin de donner, plus envie encore, aux gens d’y venir. Je ne sais si une exposition de portraits de spectateurs remplit cette mission, mais j’aime l’idée de photographier celles et ceux qui font vivre la salle. Nous sommes au Louxor tous les soirs jusqu’au 31 octobre, pour le moment cela se passe très bien, nous rencontrons des gens vraiment très intéressants.
[Pause] Laetitia, spectatrice du Louxor, accompagnée de son compagnon Fernando, s’installe pour la séance de portrait. “J’ai choisi de venir au Louxor pour faire découvrir ce lieu incroyable à mon ami, malheureusement je n’ai pas encore eu l’occasion de découvrir la grande salle du rez-de-chaussée. Lorsque j’ai vu qu’un studio photo était installé à l’étage, j’ai eu envie de participer à ce projet et je dois dire que j’aime beaucoup le travail de Karen Assayag. Ce soir, nous allons voir Blue Jasmine de Woody Allen […] je préfère le cinéma en salle car j’aime être immergée, chez moi lorsque je regarde un film je suis toujours divertie par autre chose, aller au cinéma c’est l’assurance pour moi d’être vraiment dans le film.”
Comment se déroulent les prises de vue, quelle est la nature de vos échanges avec les spectateurs ?
La plupart du temps les spectateurs arrivent un peu par hasard, ils visitent les lieux avant la séance, s’approchent doucement du Salon. Dès que je ressens qu’il y a un intérêt pour les portraits présentés (les murs du salon accueillent actuellement quelques portraits réalisés par les photographes NDLR) ou tout au moins de la curiosité, je leur propose de participer. Le plus souvent ils acceptent, même si au premier abord il y a parfois une certaine réticence. Il est important de les mettre à l’aise, de leur montrer les photos que je prends d’eux. Généralement ils sont très contents, mais cela demande un peu de temps pour qu’ils se sentent vraiment à l’aise. Très souvent, l’échange tourne autour d’un complexe que j’essaye de désamorcer. Je suis mal coiffé(e), mal habillé(e), avez-vous un miroir etc. Jusqu’à présent cela a bien fonctionné. Il arrive que l’on se parle de cinéma, du film qu’ils s’apprêtent à voir ou qu’ils viennent de voir. On parle aussi du quartier, car la majorité des spectateurs viennent du quartier, quelques uns sont de passage, il y a des voyageurs entre deux trains ou des personnes venues spécialement pour découvrir ce lieu mythique. Certains me racontent leur vie, c’est souvent très touchant et cela me permet de réaliser des photos au plus près de leur personnalité.
L’échange est donc primordial pour capter la sensibilité de vos sujets…
À partir du moment où les spectateurs parlent de l’intime, ils sont plus dans leur intériorité, du coup ils se regardent moins et perdent conscience, l’espace d’un instant, qu’ils sont en train de poser pour une photo, ils sont dans la réflexion, dans l’échange, ils parlent de choses leur procurant des émotions, cela me permet de capter des expressions qui ne sont pas très attendues dans la cadre d’un exercice comme le portrait, je les préfère en mouvement, vivants, c’est tout l’inverse de la photo d’identité !
Je suis très touchée par le fait que les personnes acceptent de poser, ce n’est pas naturel, cela demande un certain effort. Avec cet exercice, on entre dans le domaine de l’intime, rien que pour ça je m’applique toujours à faire une photo qu’ils auront envie de garder.
[Pause] avec Axel pour une séance de portrait. Axel aime le cinéma mais précise qu’il n’est pas cinéphile, le terme impliquant trop de choses dit-il pour qu’il se définisse ainsi. Le cinéma il l’aime autant sur son téléviseur que dans une salle et s’il fréquente les salles c’est pour partager des moments entre amis, si possible “au moins une fois par semaine”. Il est venu en couple voir Blue Jasmine et profite de l’avant-séance pour se faire photographier. “Je suis très heureux de participer à la séance photo, je trouve l’expérience très intéressante, de plus, être pris en photo par une photographe professionnelle c’est autre chose qu’un photomaton !” (Pour mémoire le Louxor accueillait dans son hall d’entrée, un photomaton, les dernières années de son exploitation).
Comment votre travail s’inspire du cinéma ?
J’ai véritablement découvert le cinéma en arrivant à Paris à l’âge de 17 ans pour faire mes études. Je suis née à Casablanca au Maroc. J’ai découvert à Paris un nombre de salles incroyable, le lancement des divers pass m’a permis de voir beaucoup de films, j’allais jusqu’à cinq fois par semaine au cinéma lorsque j’étais étudiante. J’ai ensuite continué, après mes études, à aller très régulièrement au cinéma. Quand je n’y vais pas plus d’une fois par semaine cela me manque. Je lis beaucoup sur le cinéma, le cinéma est naturellement important pour moi. J’ai d’ailleurs envie de commencer à faire de petits films, c’est une idée qui me travaille depuis pas mal de temps déjà. La photo pour moi est une étape préliminaire, a priori faire une photo me semble plus simple que de faire un film… Lorsque j’ai réalisé la série photographique “Wild and free”, un travail conçu à partir de montages d’images qui m’a permis d’être finaliste du prix la Bourse du Talent Mode 2013, les membres du jury m’ont indiqué que mon travail était très cinématographique et qu’ils imaginaient que je fréquentais beaucoup le cinéma. Ce rapport au cinéma dans mon travail je le vis pourtant de manière inconsciente… ceci dit si je me retrouve aujourd’hui à photographier des spectateurs dans une salle de cinéma ce n’est peut être pas pour rien !!
Concernant mon travail de photographe, je réalise des choses très différentes, mais le fil conducteur s’attache à ce qui est décalé, absurde parfois dans la vie.
Le moment d’à côté…
Oui et dans tout travail créatif, je vais être touchée par une image empreinte de fragilité et de force. Dans nos moments de fragilité, il y a toujours de la force. La fragilité, ce n’est pas la faiblesse ou le désespoir, c’est une sensibilité qui fait la force de la personnalité. Je recherche cet équilibre force/fragilité dans mes photos, car c’est pour moi ce qui rend l’homme émouvant. J’essaye de révéler ce que je perçois de l’identité et de la sensibilité des personnes que je photographie. Lorsqu’elles découvrent leur portrait et qu’elles me disent « c’est moi », c’est l’assurance pour moi que le portrait est réussi.
Portraits de spectateurs avec Karen Assayag et Quentin Houdas, en soirée à partir de 19h30 au 2ème étage du Louxor-Palais du cinéma, jusqu’au 31 octobre 2013. Exposition du 15 novembre au 31 décembre. Louxor 170 boulevard Magenta 75010 Paris
MAJ 23/10/2013 à 15h45
1. Barbès la ville monde par Nicolas Reitzaum organisée par Paris-Louxor pour l’inauguration du Louxor (18 avril – 30 mai 2013)
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