Rencontre avec Thierry Paquot, philosophe de l’urbain, éditeur de la revue Urbanisme, producteur des « Jeudis de l’architecture » (ex Métropolitains) sur France Culture. Auteur de La ville au cinéma (avec Thierry Jousse), Éditions Cahiers du cinéma, 2005.
Vous connaissiez le Louxor ?
Je ne suis jamais allé au Louxor étant jeune, mais je passais devant… J’ai un souvenir précis des devantures, des grandes affiches et des sculptures de l’entrée. Je rentrais en banlieue par la gare du Nord et je passais devant, mais je n’avais pas le droit d’aller au cinéma tout seul. Et quand j’ai été en âge, étudiant, d’aller au cinéma, c’était le Quartier Latin, c’était l’époque de la culture estudiantine, des films underground, d’art et d’essai.
Vous l’imaginez comment le nouveau Louxor ?
J’ai une envie : que le Louxor soit un cinéma populaire. A Paris il n’y a pas de lieu pour ça, et moi je rêve d’un lieu dédié au cinéma populaire, au cinéma de Marcel Carné, au cinéma parisien, au cinéma de Titi. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait de temps en temps une avant-première, un festival de films, des événements, qui seraient liés pourquoi pas à une forme d’orientalisme. Car dans le cinéma populaire, je n’oublie pas les films égyptiens, comme certains de Youssef Chahine. Mais la marque de fabrique du Louxor, ça pourrait être une programmation de cinéma populaire, en accord avec la Cinémathèque de Paris ou le Forum des Images, pour projeter des films typiquement parisiens. Des films Titi et non pas Tati !!!
Ça marche le cinéma populaire ?
Oui il y a un public pour ça. Je le constate avec mes étudiants qui ne connaissent pas mais qui sont ravis de découvrir. Ils adorent. Évidemment il faut penser à la viabilité économique, mais je suis persuadé qu’il y a un public. On va dans les petits cinémas non pas pour voir ce qui est à l’affiche ailleurs, mais justement pour voir ce qu’on a raté, ce qu’on a pas pu voir ou ce qu’on a envie de revoir. Il vaut mieux s’afficher comme un cinéma spécialisé.
C’est quoi pour vous le cinéma populaire ?
Ce cinéma populaire est un cinéma de la ville. C’est un cinéma très urbain, fait de déambulations, de promenades. Il y a toujours une intrigue assez amusante. « Boudu sauvé des eaux », par exemple, c’est très drôle, c’est une véritable satire sociale. Il y a beaucoup d’entrées possibles dans un tel film.
Même aujourd’hui ? Même au Louxor ?
On ne peut pas dire que c’est parce que c’est un cinéma populaire et qu’il n’y a plus de classe populaire que ce genre cinématographique est a-historique. Au contraire, ce cinéma populaire correspond tout à fait au Louxor car précisément il a une dimension exotique. Il nous parle de quelque chose qui n’existe plus du tout. Il est anachronique dans l’usage qu’il fait d’un vocabulaire, d’une gestuelle, dans la manière dont les personnages fument, boivent. Il offre des archétypes intéressants.
Dans un quartier comme Barbès ?
Mais oui absolument, car c’est un quartier qui change mais qui reste socialement et culturellement mixte, c’est ce qui fait la richesse de ce quartier. C’est un quartier pacifié, avec des commerces de rez de chaussée, des vendeurs très cools, on y entre et on en sort librement.
Et Barbès au cinéma ?
Je n’ai pas vu Halal Police d’Etat mais ça se passe à Barbès ! Évidemment Les portes de la nuit mais c’est un décor, tout est reconstitué en studio, y compris la locomotive. Il faudrait revoir les rares films qui évoquent la guerre d’Algérie ou l’époque. Revoir Elise ou la vraie vie par exemple. Il faut penser aussi aux séries télé policières, par exemple Navarro. Plusieurs épisodes ont été tournés à Château-Rouge et à Barbès. Certains films ont même été tournés dans le Louxor, je devrais pouvoir retrouver ça dans ma cinémathèque…
Propos recueillis le 17 février 2011, hall de la Maison de la Radio, par Emmanuelle Lallement