Gian Maria Leroy, réalisateur de films d’animation, intervient régulièrement dans le cadre de dispositifs d’éducation à l’image. Habitant de la Goutte d’Or, Gian Maria s’intéresse de près à la réhabilitation du Louxor, il rêve d’un lieu de rencontre et de partage autour du cinéma.
« C’est peut-être un peu utopique et idéaliste de penser
que l’on vienne au Louxor pour parler de cinéma…
Mais je pense que c’est possible et je l’espère. »
Vous qui avez grandi en partie dans ce quartier, comment avez-vous eu le goût de faire du cinéma?
Tout d’abord, ce sont mes parents qui m’ont encouragé à aller au cinéma. Lorsque j’étais enfant, à Villeneuve d’Ascq, près de Lille, il y avait à côté de chez nous une salle de cinéma art et d’essai, le Méliès. J’y allais très souvent, c’était un peu comme du cinéma permanent, j’y restais pour voir les films plusieurs fois. Je me souviens qu’on y passait aussi beaucoup de courts-métrages.
C’est donc la proximité qui a créé l’habitude ?
Je pense, oui, le Méliès était à côté de chez nous. Si il n’avait pas été là, je pense que je serais moins allé au cinéma et peut être n’aurais-je pas choisi de m’orienter dans ce domaine.
Le cinéma occupe une place importante dans votre vie, quel a été votre parcours ?
Oui, je suis venu à la pratique du cinéma par le biais d’études d’art. Comme j’aime autant le dessin que le cinéma, je me suis finalement orienté vers le cinéma d’animation. C’est donc la proximité mais aussi l’amour du cinéma transmis par mes parents qui a été fondateur pour le métier de cinéaste que j’exerce aujourd’hui. Rendez-vous compte, dans les années 60, dans le village de 300 habitants où habitait ma mère, il y avait 3 salles de cinéma ! Cela explique d’une certaine manière que le cinéma ait une place d’une aussi grande importance dans la vie de gens comme mes parents. Très jeunes, ils se sont constitués une culture de cinéma, sans être forcement des cinéphiles ou des intellectuels, c’est cet amour, ce désir de cinéma qu’ils m’ont transmis.
A Paris, adolescent, j’ai continué à aller au cinéma, avec évidemment bien plus de facilités que je ne pouvais en avoir avant. Mon père, le mercredi, regardait les sorties ou les ressorties de films. Il me conseillait un peu et me donnait, en plus de mon argent de mon poche, de quoi aller au cinéma une fois par semaine. Par la suite j’ai continué naturellement à aller au cinéma.
Depuis quand habitez-vous le quartier de la Goutte d’Or ?
J’habite dans le quartier de la Goutte d’Or depuis 10 ans, quand je suis revenu à Paris après mes études, j’ai cherché un appartement dans le 18ème. Je l’ai trouvé dans la Goutte d’Or, c’était un peu moins cher qu’ailleurs, de plus, j’étais très content de retrouver ce quartier.
J’ai passé toute mon adolescence dans le 9ème, j’étais au collège à Jacques Decours à Anvers, j’habitais dans le 9ème, mais beaucoup de mes copains habitaient cette partie populaire du 18ème. La première fois que je suis venu à la Goutte d’Or, c’était par le biais d’une association. J’étais graffeur à l’époque, il y avait, rue Léon, un local associatif tenu par Gilles, alias « Boxer » (un des premiers graffeurs parisiens), On y venait tous les mercredis, on s’y retrouvait tous, il y avait là beaucoup d’énergie…
Adolescent, vous alliez au cinéma dans le quartier ?
A l’époque, j’allais plutôt sur les grands boulevards du côté du grand Rex. Dans le quartier, avec les copains, ont n’allait qu’au Wepler. Les petits cinémas, comme le Studio 28, le Ciné 13, c’est venu après, une fois plus âgé.
Sur le boulevard Rochechouart c’était des cinémas permanents un peu louches, qui passaient en boucles des films de Kung Fu, ça ne nous attirait pas trop. Ce qui nous intéressait, c’était d’aller voir les films en première exclusivité. Nous allions donc au Wepler, dans cette salle, on pouvait rester voir une, deux, trois séances, il nous arrivait de voir plusieurs fois le même film.
Et aujourd’hui quand vous voulez voir un film où allez-vous ?
Aujourd’hui je vais encore au Wepler de temps en temps, mais comme on y passe des films plutôt commerciaux, je vais plus volontiers au MK2 quai de Seine, car ce n’est pas très loin de chez moi, sinon au Studio 28 ou au Cinéma des cinéastes…
Fut un temps, je ne fréquentais que le quartier latin pour les ressorties, les festivals de films de répertoire… A l’époque où j’allais vraiment beaucoup au cinéma, il n’y avait pas encore le Cinéma des cinéastes et le réseau MK2, donc, si je voulais voir des films d’auteur il me fallait aller dans le quartier latin. J’ai aussi pas mal fréquenté le Forum des images (à l’époque Vidéothèque de Paris ndlr) et la Cinémathèque de Chaillot…
Vous habitez juste à côté du Louxor, savez-vous qu’il va rouvrir, qu’en pensez-vous?
Cela fait des années que je connais ce bâtiment, j’ai toujours entendu dire qu’il devait rouvrir, devenir un musée, un cinéma ou un centre culturel… Là, c’est en train de se faire. Tout d’abord, c’est une bonne chose qu’il ait été racheté par la Mairie de Paris, ça veut dire que ça ne deviendra pas un fastfood ou même un complexe, ça va être un lieu tourné vers les gens du quartier, enfin j’espère !
Des quartiers pour être exact, puisque ce bâtiment a la particularité d’être entre les trois arrondissements 9ème 10ème 18ème, c’est un lieu très vivant, très populaire, j’espère simplement qu’il ne sera pas cloisonné dans ses murs mais ouvert sur ce qui se passe dans le quartier, qu’il essaiera de prendre en compte la particularité des gens qui habitent tout autour.
Vous pensez que c’est possible de faire venir les habitants de ces trois arrondissements ?
C’est surement possible. Cela risque d’être compliqué, certainement, qu’il va falloir trouver des moyens d’actions, des propositions pour faire venir un public large, que ce ne soit pas seulement les bobos du quartier… Je rêve sûrement un petit peu, mais si ça pouvait faire venir vraiment tous les gens du coin…
Et comment?
Déjà en pratiquant des prix qui soient abordables. C’est sûr : il faut que ce soit moins cher qu’ailleurs… en ayant une programmation qui soit éclectique et assez ouverte, qu’on ne se dise pas « ah ouais, ce ne sont que des films d’auteur, il y a pas de films commerciaux », il faudrait arriver à jouer sur les deux tableaux, comme le font tous les cinémas d’art et d’essai, il faut proposer des choses plus spécifiques qui vont faire peut être moins d’entrées mais font partie de leur engagement pour le cinéma, mais aussi des films plus commerciaux, comme l’on en trouve habituellement… Il va bien falloir que ce soit viable pour l’exploitant aussi !
D’après moi, l’idéal serait de proposer à la population de participer à des ateliers, à des programmations, à des « ciné goûter », de leur proposer des projections auxquelles ils ne seraient peut être pas allé, en les accompagnant, d’interroger leur pratique de spectateurs… Je pense qu’il faudrait proposer de participer, d’une part, dans le cadre d’actions dans lesquelles ils peuvent s’investir, porter une réflexion, et développer leur regard sur l’image, et d’autre part, et de contribuer à une programmation qui les attire. Je pense qu’il est important d’accompagner les gens pour les fidéliser, si on veut qu’ils reviennent. Sans être non plus trop présents. Tout ceci peut-être marquant et même, pourquoi pas, fondateur pour certains.
Vous réalisez des films d’animation, vous intervenez aussi dans le cadre de dispositifs scolaires…
Pas uniquement dans le cadre de dispositifs scolaires, il m’arrive aussi d’intervenir hors de l’école, en matière d’éducation à l’image. Il m’arrive, en tant que réalisateur de films d’animation, d’aller dans des classes ou devant un groupe pour leur parler de ma pratique et de mon métier, ou passer plusieurs jours pour faire un film, avoir une pratique de l’animation, ou du cinéma -car je considère que l’animation c’est avant tout du cinéma !- avec des gens, qu’ils soient jeunes ou pas. Je fais un travail d’accompagnement, de mise à disposition de mes compétences et de mes outils. Je fais en sorte que le public auquel je m’adresse puisse exprimer ce qu’il a envie d’exprimer, par le biais du cinéma d’animation, domaine qui offre de multiples possibilités narratives et formelles.
A la Goutte d’Or, il y a plein de possibilités, plein d’histoires à raconter… Il faudrait peut être leur donner des outils et accompagner ceux qui s’intéressent au cinéma. Moi, j’ai eu la chance de bénéficier d’un « terrain favorable », mes parents m’ont transmis le goût du cinéma, mais ce « terrain favorable », il est possible de le créer…
De futurs réalisateurs parmi les enfants de la Goutte d’Or ?
Bien sûr que oui ! Au lieu de ne faire que du foot, du basket ou du rap, ils pourraient faire aussi du cinéma !
Vous pensez que l’ouverture d’une salle de cinéma permet d’envisager des choses dans ce sens ?
La question est : Qu’est ce que c’est ? Seulement une salle de cinéma ? Avec une cafeteria et de temps en temps des rencontres et des festivals ? Ou est ce que c’est plus qu’une salle de cinéma, avec par exemple un lieu qui soit dédié à un accompagnement vers la création cinématographique ou vers le décryptage du langage cinématographique, ou à des ateliers ? Est ce que c’est une salle de cinéma qui ne fait que des projections ou est ce que c’est un lieu qui est dédié à la création cinématographique ? Et alors là on met à disposition des moyens de faire des rencontres, des ateliers etc… Comme par exemple à la Cinémathèque…
Il y a un besoin ?
Je trouve que ce serait bien pour le quartier car les gamins d’ici sortent peu de leur environnement, c’est un quartier qui est assez fermé sur lui-même, et cela même si il s’y passe beaucoup de choses. Il y a une vie assez riche, il y a des gens qui viennent de tous horizons, de tous pays, je pense qu’il y a une matière et une envie pour la création… Ce serait bien de pouvoir donner des outils, une structure, un cadre aux gens du quartier, d’où qu’ils viennent, de tous les âges, s’ils ont envie de s’investir vers une pratique ou une réflexion de manière simple, sans rien forcer…
Beaucoup de jeunes sont attirés par les métiers de l ‘image et du son … Leur donner des outils pour expérimenter, faire des choses, le Centre Barbara le permet pour la musique pourquoi ne pas imaginer un centre dédié à l’image ? Je trouve que ce serait formidable pour le quartier, et pas seulement. On est au croisement de trois quartiers différents, ce serait une nouvelle occasion de mélanger les populations qui vivent de plus en plus refermées sur elles même.
Mais ça peut aussi bien être un cinéma style MK2 et puis Basta ! J’irai certainement parce que c’est à côté, mais je ne vois pas l’intérêt… des cinémas on n’en manque pas à Paris !
Puisque les habitants de la Goutte d’Or sortent peu de leur quartier, peut être iront-ils un peu plus au cinéma, la salle sera à leur porte, mais ne peut-on pas apporter autre chose ? C’est important que ce lieu soit un endroit de rencontre, que l’on y vienne pour parler de cinéma, des films qu’ils ont vus, pour débattre… C’est peut-être un peu utopique et idéaliste de penser que l’on vienne au Louxor pour parler de cinéma… Mais je pense que c’est possible et je l’espère.
Le cinéma c’est une ouverture formidable sur le monde, que ce soit en tant que spectateur, ou en tant qu’acteur de ce domaine. Il faut en profiter.
Filmographie :
Chanson aux pommes – 2001 – La Poudrière
Midnight pastoral – 2000 – La Poudrière
Eden Emile – 2007 – grattage sur pellicule
Sur internet : http://vimeo.com/14838577
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