Après Theda Bara, Cannes est l’occasion idéale pour retrouver Elisabeth Taylor, l’emblématique Cléopâtre de Mankiewicz, disparue en mars dernier, à moins que ce soit en mai..
« Si un simulacre présentait tous les traits du simulacre, il s’abolirait comme simulacre, du moment même où il atteindrait la perfection mimétique » (Marc Angenot)
En 1955, le sociologue Edgar Morin explique avec justesse qu’à Cannes, on vient mesurer l’écart entre ce que sont les stars dans la vraie vie et les icônes que le cinéma fait d’elles. Mais il faut imaginer que les choses vont souvent plus loin. L’amour du cinéma, la cinéphilie prennent ici des formes bien plus prononcées. Et, un Morin qui reviendrait aujourd’hui pourrait fort bien mesurer la notoriété, la force de l’image des stars dans ce que les spectateurs s’approprient desdites stars. Dans l’euphorie du lieu, on joue à exister, on joue sur l’image et il n’est pas rare de distinguer ici ou là des passions cinéphiliques qui s’expriment dans des tentatives d’emprunt d’images et de simulacres. Parmi les festivaliers, des sosies plus ou moins réussis recherchent à Cannes ce qui n’y est jamais délivré : bien plus qu’une identité de spectateur ou de cinéphile, une identité sociale qui se confondrait avec la fiction cinématographique dont la manifestation fait étalage. Au demeurant, dans ce jeu d’images, l’on se prête toujours à confondre des reflets plus ou moins feints de Catherine Deneuve. Il en va de même pour Faye Dunaway
L’actrice était à Cannes pour présenter ce 12 mai, Portrait d’une enfant déchue de Jerry Schatzberg (1970) dans une copie restaurée. Copie restaurée. Le film a eu beaucoup de mal à démarrer pour cause de problèmes de son. La copie neuve crachotait… Problème de passage au numérique,… Bref… Les spectateurs au troisième redémarrage du film manifestaient leur exaspération et avec une élégance sans pareil, Faye Dunaway se mit à signer des autographes, histoire de faire patienter l’assistance. Face à elle, un certain nombre de femmes qui, sans être de francs sosies, affichaient, une même coiffure, une même douceur, une même élégance dans la façon de se draper d’un châle. L’identité se portait là dans un style et une légèreté. Cannes appelle cette question des identités reconstruites à coups de petits scalpels identitaires touchants qui nous rappellent comment se façonnent normes et différences.
Pour les sociologues habitués du Festival cependant, un constat est patent cette année. En effet, depuis les origines du Festival, l’actrice qui se voyait la plus fréquemment « copiée » et « co-pillée » était Elisabeth Taylor. Cannes pouvait ainsi compter parmi ses spectatrices quelques dizaines d’Elisabeth déclinées. Cette année, elles ont toutes disparues. Impossible de retrouver un quelconque éclat myosotis dans les yeux de ces dames qui venaient ici vieillir avec leur idole. Lorsqu’une vraie star s’éteint, c’est aussi un modèle qui s’évanouit. Elle fait disparaître avec elle toutes celles qui s’appuyaient sur son image pour exister. Et, quand bien même un sosie d’Elisabeth Taylor serait là que nous ne le verrions pas. En sociologie, nous appelons cela un horizon d’attentes construit et reconstruit indéfiniment dans le regard de chacun d’entre nous, un regard, qui, de fait, sait aussi faire disparaître ici de cet horizon celles et ceux dont nous savons fort bien qu’ils ne seront plus jamais au rendez-vous.
Retrouvez les articles du SOCIO-BLOG /// 8 sociologues au Festival de Cannes : ici et là
Sous la direction d’Emmanuel Ethis, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse
(Centre Norbert Elias, équipe Culture et Communication)